Bolaño ou l’insondable

2666 - D apres roberto BOLANO - Adaptation et mise en scène: Julien GOSSELIN - Scénographie : Hubert COLAS - Musique : Guillaume BACHELE et Rémi ALEXANDRE - Lumière : Nicolas JOUBERT - Vidéo : Jérémie BERNAERT, Pierre MARTIN - Son : Julien FERYN - Costumes : Caroline TAVERNIER - Avec : Rémi ALEXANDRE - Guillaume BACHELE - Adama DIOP - Joseph DROUET - Denis EYRIEY - Antoine FERRON - Noémie GANTIER -  Carine GORON - Alexandre LECROC - Frédéric LEIDGENS - Caroline MOUNIER - Victoria QUESNEL - Tiphaine RAFFIER - Dans le cadre du 70eme Festival d'Avignon - Lieu : La Fabrica - Ville : Avignon - Le : 06 07 16 - Photo : Christophe RAYNAUD DE LAGE

(c) Christophe RAYNAUD DE LAGE

Après avoir pris à bras-le-corps le sulfureux « Les Particules élémentaires », de Michel Houellebecq, il y a trois ans, c’est cette fois à un autre roman, non moins complexe, que s’est attaqué Julien Gosselin : l’immense – dans tous les sens du terme – « 2666 », de Roberto Bolaño. D’une œuvre aussi riche et protéiforme, il ne pouvait naître autre chose qu’un spectacle-fleuve, long et complexe, aussi intrigant que, parfois, laborieux…

« C’est Julien qui m’a fait découvrir “2666”, je n’avais jamais entendu parler de Roberto Bolaño avant. Mais je lui fais entièrement confiance, et en lisant je me suis aperçue que j’étais vraiment passée à côté de quelque chose… Le projet a vraiment été accueilli avec enthousiasme », affirme Victoria Quesnel, actrice et membre fondatrice du collectif Si vous pouviez lécher mon cœur. « Ce sentiment d’être face à quelque chose d’infaisable humainement, et de savoir qu’on va devoir se dépasser, c’est vraiment très excitant. On sentait qu’on allait avoir beaucoup à défendre, surtout face à ce sentiment que la littérature est vraiment plus importante que tout. »

« 2666 » semble effectivement être un mur insurmontable. Long, fragmentaire, inachevé, « 2666 » est un de ces romans qui happent, qui aspirent son lecteur, qui l’enfoncent dans un tourbillon de paroles et d’images pour finalement le laisser totalement vide, sonné, incapable de savoir où il se trouve. Œuvre totale, absolument jouissive, elle représente néanmoins un véritable défi pour quiconque se donnera la mission d’y toucher, car elle danse sur un fil si ténu que celui-ci prendra le risque soit de la trahir, soit de s’y noyer… Traîtres, Julien Gosselin et sa bande ne le sont indéniablement pas. « L’ordre du roman nous semblait très intéressant, continue Victoria Quesnel. Cette espèce de boucle, avec cette longue traversée de plusieurs mondes qui finissent par se rejoindre, nous semblait très juste et très belle telle quelle. » Il est vrai que hormis quelques coupes effectivement indispensables face à un texte de cette ampleur, l’adaptation ne se laisse jamais déborder des limites du roman – au point que l’on en vient à se demander, par moments, ce qui justifie le choix de ce texte. Car au-delà de la justesse de la lecture, de la précision de l’adaptation et de l’efficacité de la mise en scène, on s’interroge sur ce que veut réellement nous dire Julien Gosselin avec ce spectacle.

« J’aimerais que les spectateurs aient entendu l’émotion que j’ai de jouer Bolaño tous les soirs. J’espère que la complexité et la richesse de cette œuvre ont été perceptibles pour les gens qui sont venus vivre ça avec nous. » Cette générosité dont nous parle Victoria Quesnel, on ne cesse évidemment à aucun moment de la ressentir. Et pourtant, on se sent frustré devant ce « 2666 ». Frustré d’être face à une mécanique si bien huilée qu’elle en vient à manquer d’organicité. Frustré que sous l’énorme dispositif technique – dans lequel se détache la création sonore absolument remarquable de Julien Feryn – le feu de la parole de Roberto Bolaño semble peiner à embraser les corps. Frustré d’avoir le sentiment qu’un metteur en scène indéniablement talentueux peine à sublimer un texte pourtant porteur d’une si incroyable charge poétique.

« J’aime entendre les réactions à chaud des spectateurs. Ce qui me touche, c’est qu’ils aient le sentiment d’avoir vécu une expérience, qu’il se soit passé quelque chose de pas commun pour eux », conclut Victoria Quesnel. Au bout de ces douze heures passées à La FabricA, ce sentiment est indéniable. Mais, après tous ces efforts, on ne peut s’empêcher de regretter de s’être senti marqué uniquement par l’événement.