J’ai toujours été fasciné par les tables gigognes, ces tables que l’on peut encastrer les unes dans les autres et qui remportèrent un franc succès sous le Second Empire. Le metteur en scène de ce duo historique Mandel-Blum en a vraisemblablement trouvées dans le grenier du théâtre et a pris un malin plaisir à séparer la plus grande table de ses deux congénères, plaçant la première à gauche et les deux autres à droite. On notera que la plus petite a été discrètement remisée sous la table intermédiaire. Hormis ce détail, le décor semble avoir été pensé avec grand soin : une radio posée sur une table de nuit, deux chaises tapissées côté jardin ; côté cour, deux autres chaises, en osier celles-là, recouvertes de coussins améliorant nettement l’assise et une commode sur laquelle on a intelligemment posé un buste de Clemenceau que Mandel-Barbier époussette et caresse avec amour ; au centre, un billard carambole derrière lequel on aperçoit une table à battants faisant office de meuble d’appoint pour un phonographe. Le fond de scène – trop souvent méprisé – n’est ici pas oublié : on y projette une reconstitution numérique du camp de Buchenwald, qu’observent depuis les fausses fenêtres de leur prison dorée les deux hommes. De temps à autre, une compagnie de soldats passe, une mitraillette lance sa complainte hachée et l’on s’arrête de parler. Dans ce décor idéal, les acteurs se meuvent avec aisance. Mandel-Barbier est tantôt à gauche, tantôt à droite. Il se met en colère. Il se ravise. Et puis on vient le chercher. Emmanuel Dechartre, lui (mais qu’allait-il faire dans cette galère ?), incarne un Blum plus vrai que nature et nous évite le naufrage. Pour l’histoire, on lira avec intérêt le texte de Jean-Noël Jeanneney. L’ouvreuse le propose d’ailleurs au début de la pièce.
L’Un de nous deux : Mandel / Blum
L'Un de nous deux : Mandel / Blum