© Jeanne Garraud

Avec “Wonderful one”, Abou Lagraa prétend briser les stéréotypes de genre ; une intention que nombre de chorégraphes contemporains tentent d’illustrer avec plus ou moins de finesse. Le chorégraphe le fait avec l’épure et l’élégance sobre qui caractérise son travail, en nous livrant deux pièces parfaitement ciselées. La première se décline sur la partition baroque du “Combat de Tancrède et Clorinde” de Monteverdi, illustrant l’amour entre un prince chrétien et une princesse musulmane. Avec pour seul dispositif un cube blanc sur fond blanc, espace du repli et de la conquête, ce tableau met en scène deux danseurs aux prises avec leurs peurs et leurs conflits, sans se départir d’instants de douceur et de fusion. Dans le prolongement de ce dialogue syncrétique, le second tableau déploie une chorégraphie pour trois femmes (interprétée ce soir-là par deux danseuses et un danseur), déclinée sur trois morceaux de Oum Kalthoum, Sœur Marie Keyrouz et les Percussions de Fez. La scénographie repose sur trois praticables grillagés, qui rappellent autant les moucharabieh orientaux que les barreaux d’une cellule. Cette seconde partie, construite en crescendo, s’achève en une transe dionysiaque, où les danseurs exultent derrière leur prison dorée, faisant oublier ce dispositif carcéral par la frénésie de leur danse. Et si les barrières sont toujours là, bien plantées, à la fin du spectacle, “Wonderful one” aura fait la démonstration d’une énergie universelle de la danse, dont le souffle déplace les frontières invisibles et échappe à tout principe d’aliénation.