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Le titre de cette performance, « Sitcom », le laisse entendre : on va rire. Plus exactement, on devrait rire. Cependant, alors que l’on s’installe autour du plateau blanc sur lequel Nicolas Meusnier danse, bondit et s’agite dans le fracas d’une musique tonitruante qui fait chantonner nos voisines, on est frappé par l’air inquiet et soucieux du comédien qui semble plongé dans de sombres pensées. Et pour cause. Il a décidé de convoquer ce soir-là « l’esprit des familles ». Défile alors une galerie de personnages qui dessinent, par touches successives, une histoire de la violence familiale, celle qu’on ne voit pas et que l’on dissimule derrière les murs de nos maisons. Nicolas Meusnier, texte en main, se fraie un chemin dans le labyrinthe du malheur afin de remonter à la source de ses maux. Il évacue les souvenirs en même temps que les pages, qui voltigent autour de la table.

L’écrit retrouve alors sa fonction cathartique au sens littéral du terme. Le comédien, en foulant sans vergogne ces pages étalées sur le sol, prend une revanche sur son passé et fait acte de résilience en froissant d’un pas agile ces fragments de souvenirs malheureux. Tout s’enchaîne à la vitesse de la lumière, de la scène de sexe qui tourne au viol à la crise maternelle en passant par les élucubrations d’une grand-mère colérique, et, d’un jet de feuille, le comédien bascule d’une saynète à l’autre. Tous les personnages virevoltent autour de nous, nous prennent à partie sans jamais nous brusquer et, à l’image de Nicolas Meusnier poussant un grand souffle final avant que ne s’éteignent les projecteurs, nous restons là, ébahi.

Cette performance est aussi la trace de l’impossible guérison, de l’impossible arrachement à cette violence des origines. « Je sentirai toujours la vigne », s’écrie le personnage. On ne peut que tourner autour du gouffre immense qui se creuse au fil des années. Nicolas Meusnier devrait poursuivre cette exploration de ses failles intimes dans ses prochaines créations et c’est bien la première fois que nous nous réjouirons, sans aucune malfaisance, du malheur d’un autre, car cet autre – qui est un peu nous – possède le précieux talent de l’alchimiste : transformer le malheur en un éclat de rire.