© Gunther Gamper

En choisissant le texte de Boris Vian pour ouvrir la nouvelle saison du Théâtre Denise-Pelletier, le jeune metteur en scène Michel-Maxime Legault s’est attaqué à un monstre. Il n’y avait que deux issues possibles : se faire manger tout cru et sans sommation ou sortir du combat en héros. La lutte fut rude mais la proposition reste digne et debout.

Dans cette pièce écrite deux ans avant sa mort, Vian s’adonne au jeu qu’il affectionnait sans doute le plus ; celui de la langue. Il se délecte de la richesse du vocabulaire et se fait maître de la puissance et de l’intelligence des mots. Et cette dimension, Legault s’en est parfaitement saisi, travaillant la diction de ses comédiens avec force rigueur, quitte à parfois leur donner l’allure de vieux comédiens français un brin poussiéreux. Chassée de son appartement par un inquiétant bruit venant du dessous, une famille bourgeoise se réfugie dans les étages de son immeuble, emportant avec elle moult bagages et sa bonne. Mais le bruit les poursuit et à mesure qu’ils montent les escaliers, les appartements se font de plus en plus petits et misérables, toujours hantés par une étrange créature humanoïde en haillons. Cet présence allégorique que personne ne semble remarquer mais que tous ne cessent de rouer de coups, c’est le fameux Schmürtz.

Legault a choisi de miser sur une esthétique très bien léchée, projetant l’univers grand-guigolesque de Vian dans un impressionnant décor digne d’un musical gothico-burlesque parfumé de fumée verdâtre. Le pari est gagnant et l’humour absurde des répliques séduit le public dès les premiers instants. Mais si le texte donne parfois le ton de la comédie, l’oeuvre n’en est pas moins une grave peinture de nos plus sombres facettes. Face à des parents perclus d’hypocrisie qui tentent vainement de sauver les apparences dans le chaos ambiant, la jeune Zénobie semble être la seule à conserver une once d’humanité. Le père, la mère et la bonne Cruche ponctuent leurs conversations de coups assénés au pauvre Schmürtz qui longe les murs et se tord de douleur sur le parquet sans jamais recevoir ne serait-ce qu’un regard de la part de ses bourreaux. Et c’est dans ce qu’elle allège la cruauté et la violence du propos que cette mise en scène se perd par moments. En mettant l’accent sur le potentiel bouffon de la pièce, cette création passe parfois au travers du propos, provoquant des turbulences rythmiques dommageables. Le tout potache donne lieu à des effets de cabotinage prévisibles et superficiels : on pense par exemple aux faux coups de pieds, de poings et de ceinture portés au Schmürtz auxquels personne ne peut croire et qui engendrent une distanciation regrettable.

Fort heureusement, le dernier acte, plus littéraire et dramatique, donne à Gabriel Sabourin l’occasion d’imposer son charisme indéniable dans un duel juste et habité avec Sasha Samar, dont la présence muette est d’une justesse remarquable tout au long de la pièce. Est-il possible de traverser la vie en marchant sur les autres pour s’élever ? La conscience du bâtisseur d’empire est-elle sereine quand vient sa dernière heure ? A l’époque du chacun pour soi libéral forcené, ces questions semblent pour le moins d’une essentielle actualité.