Sombre Rivière © Jean-Louis Fernandez

Lazare, sans nul doute, est un auteur qui déborde de choses à dire. Qu’il s’agisse de la profondeur des thèmes qu’il aborde sans relâche, ou simplement de la profusion de sa langue, foisonnante et indéniablement poétique, l’écriture et le théâtre de Lazare dans ce Sombre Rivière sont si pleins qu’ils semblent toujours être au bord de l’explosion, tremblant comme une tour de cartes au bord de l’écroulement.

Lazare est un homme qui lutte contre sa condition. Ou plutôt contre les conditions, quelles qu’elles soient : contre les mécanismes de pensée qui font que les gens sont rangés dans des cases dont ils peinent toujours à s’extraire, prisonniers de leur petite histoire et de la grande, celle avec le grand H, dont ils ne cessent de payer les pots cassés. Son art s’impose alors comme un cri, comme un poing, certes levé, mais qui semble pourtant refuser de porter le coup. Et c’est là toute l’ambiguïté dérangeante de ce Sombre Rivière.

Car sa forme — flamboyante et résolument joyeuse — si elle n’est certainement pas dépourvue de force et de conviction, pècherait presque par sa gentillesse à la limite du christique, par sa propreté, par son désir de faire du combat une grande fête. Cette attitude de cigale dans la fourmilière, si elle témoigne d’un parti-pris évident et abouti, reste néanmoins questionnable. Car une fois étouffée la rage, d’où peut encore venir le feu ? Si après nous il y aura le déluge, alors n’est-ce pas le moment de régler les comptes, avec les autres et avec soi-même ? On pourrait arguer que c’est ce qui est fait dans Sombre Rivière, avec son cortège d’invectives face public, et la présence entêtante des fantômes du passé. Néanmoins, la frontalité de la mise en scène et le détachement ironique, presque nonchalant, induit par la musique incessante et les gesticulations qui l’accompagnent, fait malheureusement qu’on a plus souvent l’impression de se voir enfoncer des portes déjà entrouvertes que d’être réellement bousculé dans son être pensant.