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« Love is a losing game », disait dans sa chanson l’icône pop Amy Winehouse. C’est sur cette affirmation que s’ouvre « Ogres », pièce uppercut de Yann Verburgh, comme le constat d’une malédiction qui pèse sur la communauté homosexuelle pour qui l’amour est un jeu qui se joue à perte. Mais comme toujours au théâtre, la malédiction est là pour être conjurée. C’est donc une pièce de résistance qui nous est donc proposée ici. Un voyage qui va de la souffrance à la résilience.

Ce voyage, c’est avant tout celui de Benjamin, jeune professeur agressé, brûlé et laissé pour mort dans une forêt près de Rouen parce qu’il venait y rencontrer d’autres hommes. Son histoire, de l’agression jusqu’au procès, est le fil rouge autour duquel se tressent d’autres récits de violence aux quatre coins du monde. De la Russie au Brésil en passant par l’Iran et l’Europe de l’Est, ces vignettes, écrites à partir d’un travail de documentation, forment une mosaïque qui dessine le visage de l’homophobie contemporaine. Abomination pour les fanatiques religieux ou nouveaux boucs émissaires pour détourner le regard du peuple d’autres enjeux sociaux, politiques ou économiques, chaque épisode agit comme un petit précipité dramatique qui met en lumière telle ou telle problématique de la persécution des homosexuels.

Cette dramaturgie en montage qui nous fait passé sans cesse d’un espace à l’autre ou d’avant en arrière dans le temps, et qui donne tour à tour la parole aux victimes et aux bourreaux, permet une rotation constante des points de vue dans des scènes souvent très violentes et très dures à recevoir. Ces allers-retours traduisent la dynamique d’un rapport de force mondialisé autour de la place des homosexuels, l’obscurantisme gagnant du terrain à tel endroit du globe lorsque la tolérance progresse à tel autre endroit.

Mais si la pièce propose cet état des lieux, elle s’engage aussi dans la bataille. Et pour cela elle utilise l’un des outils les plus puissant du théâtre, l’identification. Autrement dit l’empathie. Quelle meilleure arme pour lutter contre l’exclusion que d’amener le spectateur à se reconnaître en l’autre. Yann Verburgh sculpte le drame réaliste avec une précision d’orfèvre tandis que la mise en scène d’Eugen Jebeleanu fabrique des images sonores et visuelles saisissantes. Les acteurs sautent d’un personnage à l’autre avec toujours beaucoup de justesse et de simplicité. On sort aussi bouleversé qu’essoufflé d’avoir vécu par procuration chacun de ces destins, tragiques souvent, mais aussi porteurs d’espoir.

On pourrait souhaiter plus de recul dans le traitement du sujet, mais ce théâtre-là ne souffre pas de distanciation. Élaborée en réaction aux débordements de la Manif pour tous, il se pense autant comme un mécanisme d’auto-défense de la part d’une communauté opprimée que comme une tentative de rassemblement par la représentation. Un vaccin. Une frappe préventive, à l’abri des murs du théâtre, pour nous rappeler que chacun à le droit de jouer le jeu d’amour qui lui plaît.