Déambulations dans le château d’Hamlet

Helsingør – château d’Hamlet

(c) Mélanie Dorey

“Il faut imaginer un espace de jeu où le hors-scène n’existe pas. Le public peut aller où il le désire. Il est libre d’évoluer au cœur de l’action – et d’y perdre ses repères…” : lorsqu’on découvre le pitch d’Helsingør”, spectacle de théâtre immersif créé cet été au Secret, on pense immédiatement à “Sleep No More”, dont le projet semble vouloir être une décalque light et éphémère.

Comme son aîné new yorkais, “Helsingør” est une déambulation libre dans un lieu atypique : ici le Secret, une ancienne usine d’une petite rue à côté de la place Monge, voué à être transformé en hôtel, qui a concédé à la compagnie A2R – Antre de Rêves une jouissance temporaire du lieu pour ses expériences de théâtre et d’activités immersives. Une allure de garage réaménagé pour l’occasion en palais danois, donc, avec sa salle du trône, ses chambres et ses couloirs venteux… Divisé en plusieurs groupes avant le début de la performance, le public est vite livré à lui-même, au gré de ses envies de circuler entre les différents espaces de représentation, de suivre les comédiens qui surgissent de pièce en pièce, ou de s’asseoir un moment pour écouter les tirades shakespeariennes déclamées avec un jeu plutôt inégal (on aura toutefois été convaincu par Hamlet).

Puisque les scènes se jouent en parallèle de bout en bout du Secret, il est structurellement impossible de suivre la linéarité de l’intrigue. Mais là où “Sleep No More” avait réussi à fragmenter “Macbeth” et à recomposer une narration transposée et originale, “Helsingør” reste comme figé sur les dialogues de Shakespeare : se refusant à déplacer le texte et la dramaturgie dans un nouvel endroit d’eux-mêmes, le spectacle se borne à un espace-temps aussi pauvre en intentions poétiques qu’en décors et en immersion scénographique. “Sleep No More” compense ses failles de surexploitation commerciale à l’américaine par une dialectique réussie entre le spectaculaire de son look et l’intimité dérangeante et jubilatoire de ses sessions de “one to one” entre spectateur et comédien ; “Helsingør” quant à lui a du mal à éviter que l’enthousiasme de départ ne retombe dans la tiédeur de sa réalisation, aux antipodes de la magie lynchéenne, par exemple, du “Fragments #2” de la compagnie Spitfire ou du “Villa Maria” de Julien Drion. Et c’est dommage, car le théâtre immersif, sous-représenté en France, a de belles heures à vvre.

Malgré une certaine déception, il faut reconnaître que “Helsingør” atteint son objectif d’initiation d’un public peu familier du concept. Et qui donnera peut-être envie de découvrir d’autres saillies scéniques hors des plateaux traditionnels. On ne peut souhaiter à Léonard Matton et à sa troupe d’ouvrir encore le champ des possibles, et de s’autoriser, sur les murailles embrumées du château d’Elseneur, de plus grands écarts de ludisme et de folie.