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Par-delà une pudibonderie esthétique très Française, qui nettoie les quelques excréments versés par Ostermeier, une douce apocalypse théâtrale émerge de ce pastel italien, native de la rencontre anachronique entre les prophéties sociales de Goldoni et les marottes littéraires d’Alain Françon. Pièce de la fin d’un monde, « La Locandiera » entérine, après « Le Misanthrope » un siècle plus tôt, une banqueroute de la comédie classique, la friction entre la liberté individuelle qu’elle thématise et les types populaires qu’elle rabiboche préparant une inflexion toute moderne de la matière dramatique. C’est dans cette vaporisation caractérielle que s’engouffre l’imaginaire de Françon, trouvant chez l’auteur italien « une parenté avec la langue de Tchekhov » et un vivier de « secrets » qui excorient les gros traits farceurs. « Tout se déroule dans la pièce avec une grande abstraction, quelque chose de “mathématique“, comme si on avait rassemblé tous les paramètres nécessaires pour résoudre une équation » déclare le metteur en scène, plutôt fasciné ces derniers temps par Botho Strauss ou Peter Handke. Laquées par la sagesse du plateau, ces fines intentions s’amenuisent dans la dynamique un peu pataude du premier acte et le jeu parfois mécanique de Florence Viala (qu’on avait vue bien meilleure pour cela chez Feydeau), même si elle transcende par son interprétation plastique les vignettes rétrogrades ou pré-féministes adossées à son personnage. La bataille des piquettes rares, menée magistralement au cœur de l’acte II par Hervé Pierre et Michel Vuillermoz, Dupond et Dupont friendzonés qui remplacent centimes par sentiments, déride un peu la belle affaire. Ce dîner de nobles cons laisse place à une entrevue troublante entre Mirandolina et le Chevalier (alias Stéphane Varupenne, toujours très juste) qui, dégustant silencieusement une liqueur enfin capiteuse, font advenir la faille représentative tant attendue qui intensifiera proprement la suite du spectacle, dans une comédie aussi douteuse et irrésolue que celle du monde.