(c) Manuel Peskine

Trois grands écrans modulables, chacun émaillé d’une mosaïque de petites télévisions dont le nombre atteint précisément 64 : on se laisse à imaginer, par l’un de ces miracles de synchronicité symbolique qui traversent l’inconscient collectif, que sera représentée l’essence génétique des mots de Novarina, à l’image de ces 64 codons de l’ADN tout autant que l’ensemble des combinaisons du Yi King. Malheureusement, le spectacle de Cédric Orain s’enlise un peu vite dans une ornière dont il ne ressort que par de brèves échappées : les textes de Novarina sont jubilatoires (ici une tribune publiée dans Libération en 1988 – contre la télévision dans l’ère de la communication : “parler n’est pas communiquer” ! – accolée à des fragments provenant de plusieurs opus de l’auteur) ; ils sont, par nature même, suffisamment évocateurs et polysémiques pour que toute tentative de les doublonner ou de les surligner par le geste ou l’image ne prenne le risque d’être perçue comme un appauvrissement. Cédric Orain le sait. Il parvient, avec justesse, à faire entendre la dimension politique de son projet, mais sa tentative tire du côté du performatif burlesque un poil démago, à la façon d’un exercice de style destiné à un public supposément demandeur d’ouate visuelle pour digérer les exigentes triturations auditives de l’auteur. Ce parti pris transforme, par instants, la scène novarinesque – c’est-à-dire un autel de la parole – en simples numéros délivrés par trois comédiens se heurtant, malgré leurs tentatives parfois réussies de donner corps au langage, à la dimension profane d’une représentation se sachant représentation, qui étiole le discours. Quelques séquences évitent l’écueil, notamment lorsque les écrans se couvrent de citations et que la mise en scène, épurée, laisse comme seuls protagonistes les mots et la bouche qu’ils traversent (celle de cette étrange figure convoquée par Olav Benestvedt, par ailleurs plutôt décevante tout du long) ; ou encore dans cette énumération finale des oiseaux imaginaires qui éprouve de façon brute et brutale la résistance du réel face au langage. On ne peut douter que Cédric Orain soit animé d’un amour authentique pour la parole de Novarina sur la parole. Peut-être, alors : qui trop embrasse mal étreint.