© Dorothée Thébert

C’est une histoire à rebours, réelle et fictive, reconstruite ou réinventée, mais aussi installée dans un présent et projetée dans un devenir. C’est une histoire à raconter tout autant qu’une histoire sur laquelle s’appuyer pour se raconter, soi.

« Le réel sert d’embrayage à la fiction », nous dit Ludovic Chazaud alors qu’il nous conduit avec délicatesse et humour à travers les temps et les points de vue de plusieurs histoires enchevêtrées. La pièce est en effet une ingénieuse articulation de couches narratives qui se chevauchent et s’alimentent entre elles. Il y a tout d’abord les raisons qui fondent le récit : les retrouvailles d’un amour d’enfance – Sara – et l’urgence de retisser le lien perdu. L’auteur – qui est aussi notre narrateur sur scène – lui demande de raconter une histoire qui aura déterminé sa vie, et de cette histoire racontée, de cette femme racontant, naît l’histoire qui se joue sous nos yeux. Nos deux comédiens trouvent peu à peu leurs marques et leur rythme dans cette navigation entre les différents niveaux de récit. Dans un va-et-vient déroutant et captivant, elle replonge dans le drame d’une insouciante cruauté qui aura marqué son adolescence, tandis que lui se fait tour à tour la voix de l’amoureux inavoué, de l’adolescent impitoyable et de l’ami retrouvé.

La grande fluidité du spectacle réside dans une écriture simple et singulière marquée par des audaces de mise en scène tel que les ruptures silencieuses – un échange de sourires prolongé, une danse lentement esquissée – qui permettent de laisser émerger les émotions contradictoires dans lesquelles la pièce nous installe. Ce que l’on dit de soi et ce que l’on n’ose pas se dire à soi-même. Il est des soirs où, sans que l’on s’y attende, une histoire, bien que n’étant pas la nôtre, soudainement nous envahit et réveille quelque chose en nous. Peut-être est-ce la nostalgie de ces expériences passées qui nous ont résolument transformé. Ou alors, une invitation à relire sa propre vie et réenvisager, peut-être, l’histoire que l’on en fait.