À trente-cinq ans, Ruth Childs ressent déjà le besoin de faire un point sur sa vie. Pour sa deuxième création, après « The Goldfish and the Inner Tube » (2018), la nièce de Lucinda choisit le solo, convoquant le souvenir tactile, le rêve obsessionnel, les pulsations corporelles enfouies. Dans le but d’aboutir à une « tentative d’autoportrait abstrait ». Cela donne « Fantasia » sur la scène de l’ADC à Genève.
Beaucoup d’attention et de patience sont exigées du spectateur pour qu’il distingue les variations minuscules dont ce corps maintes fois rhabillé (en vert, en jaune, en rouge, en noir, avec changements de perruques) est saisi. Écrasée par une musique classique tonitruante (Beethoven surtout) et un plateau donnant la curieuse impression d’être trop grand pour elle, Ruth, ou la réincarnation de Ruth dans son propre passé, se meut. D’abord doucement, et c’est le moment le plus réussi, araignée cherchant à échapper à la toile qu’elle aurait elle-même tissée, mort et naissance mêlées, mouvements nobles et troublants d’une recherche de souffle et d’existence.
La suite désintéresse. Les allées et venues de Ruth, leur minimalisme répétitif, les oscillations émotionnelles censées être produites ne prennent jamais la forme généreuse que devrait revêtir une introspection mise à nu, un « rapport sur moi » partageable, une intimité universalisée. Bien au contraire, la scansion bascule vers de l’autothérapie psychédélique sans grand hédonisme (c’est un euphémisme), où le mouvement répété semble libérer la performeuse mais nous rend, nous, toujours plus spectateurs… entendez de moins en moins concernés. Le détour par l’abstraction est un bon moyen de nous faire revenir au charnel, là n’est pas la question. Mais ici la superposition des couches de mémoire ne nous densifie pas. Elle nous laisse plus émaciés, plus froids. Comme si cet autoportrait dansé venait trop tôt dans le temps. Comme si les années n’avaient pas encore permis à Ruth de distinguer la vraie souffrance et la vraie joie.