© Joran Jovin

Prenez de Sonntag l’art du récit, de Gosselin le sens du montage visuel et du Birgit Ensemble le traitement documentaire : vous aurez « Cannes Trente-neuf / Quatre-vingt-dix ».

Autant dire qu’Étienne Gaudillère est de ceux qui logent à l’épineuse intersection de plusieurs esthétiques populaires : un savant mélange d’influences qui s’harmonisent dans un cocktail super-efficace et trendy qui plus est — la création avait par ailleurs lieu en même temps que l’ouverture du festival de Cannes. Mais éludons plus précisément le cas : voilà une brochette d’acteurs enchaînant les personnages hauts en couleurs qui retracent l’histoire de la manifestation cinématographique de 1939 à 1989 – année de la palme d’or Soderbergh – à travers divers événements-clés : naissance internationaliste, annulation de 1968, attentats de 1975… Eux-mêmes émaillés de plusieurs digressions, qu’elles soient houleuses (les débats entre les auteurs des « Cahiers du cinéma ») ou plus oniriques à l’occasion de quelques soliloques bord plateau. Il en résulte une fresque enlevée qui conjure autant l’ennui (à l’exception de l’épuisante scène d’isolement dudit jeune Soderbergh) qu’elle peine à inventer son propre style : le spectateur satisfait en sort très informé — aucun doute que la pédagogie est la grande gagnante de « Cannes… » — pour peu qu’il n’aura pas de souvenir purement théâtral : faute de climax dramatique, d’hébétude visuelle ou de folie textuelle, il se renseigne. Est-ce bien grave, au fond ?

Il faut dire : oui et non. Non : parce que « Cannes… » témoigne d’un travail qui conjugue ampleur et intérêt — que reprocher à un cours ludique ? Le metteur en scène est un intelligent faiseur de spectacles. Et oui : parce que Gaudillère, comme souvent dans les fresques historiques qui compriment beaucoup de périodes et beaucoup de personnages dans l’espace-temps d’un plateau et d’une distribution, tombe un peu dans le panneau de la neutralisation, qu’elle soit historique — 2h15 pour 50 ans est un pari impossible —, ou psychologique — un costume et un accent ne feront pas Cocteau et encore moins Godard. Gaudillère le sait pertinemment : il étend à ce titre des scènes (et donc des périodes) au détriment d’autres et distancie volontairement les figures (à y voir la différence expresse d’âge voire de sexe entre acteurs et personnages). Il en émerge une dramaturgie à la fois réchappée d’un trop d’illustration et d’une grande inventivité devant son thème : Gaudillère est sans aucun doute un cuisinier des troisièmes voies. Dommage que la recette, très dans l’air du temps, peine à briller faute d’une dramaturgie plus percutante qui aurait mieux épaulé la profonde recherche documentaire.