Courir dans la garenne

La Terre entière sera ton ennemie

(c) Alain Monot

C’est sur la scène du Quartz à Brest qu’est née, sous la plume de Thomas Blanchard et de Sébastien Betbeder, l’adaptation du roman « Watership Down », de Richard Adams, succès planétaire et notamment outre-Atlantique, mais encore méconnu en France.

À première vue, on aurait pu s’interroger sur la viabilité de cette histoire de lapins transposée à la scène ; car oui, « Watership Down » nous plonge au cœur de la vie d’un gang de lapins lancés sur les routes alors qu’une catastrophe menace de ravager leur garenne. Bien décidés à sauver leur peau, les quatre lapins sur lesquels le duo Blanchard-Betbeder a choisi de concentrer la fable nous conduisent ainsi dans une véritable odyssée, de garenne en garenne, de forêts en plaines, à la recherche d’un nouvel habitat.

Car la beauté de cette fable réside bien dans cette histoire toujours répétée, celle de la quête de la terre promise, à laquelle la voix des lapins ajoute à l’aspect prophétique une dimension écologique : comment trouver un lieu habitable à l’heure où nos écosystèmes sont menacés de toutes parts ? Comment, malgré les catastrophes à venir, partir en quête d’un ailleurs et s’accorder le droit à l’utopie ? La justesse de la mise en scène du jeune duo réside ainsi dans le fait d’incarner ces lapins comme des hommes, munis de leurs sacs à dos de routards, et non de jouer leur animalité ; celle-ci intervient bien plus par interstices, dans la poésie de courts moments d’incarnation gentiment comiques (nous nous souviendrons de la patte blessée de l’oiseau incarné quelques instants par Dimitri Doré) ou par superposition dans l’esprit du spectateur, par cette voix off qui ne cesse de nous ramener vers le monde poétique des lapins, celui de la littérature, lorsque nous serions trop tentés par celui des hommes et de ce qui se déroule sur scène.

Se produit dès lors une drôle de rencontre très réussie entre la puissance d’un langage poétique qui nous fait nous promener en esprit dans la garenne et celle proprement visuelle d’une scénographie ingénieuse (Adeline Caron), à la croisée de la clairière et d’un espace de fin du monde. Si certains détails de l’odyssée nous échappent parfois, éventuellement en raison de la multiplicité des événements contés et des différents rôles de lapins qui se marchent sur la queue, reste de « La Terre entière sera ton ennemie » la sensation d’une épopée nous rappelant à nos proximités refoulées avec le monde animal et à son potentiel de liberté, nous invitant à revêtir à notre tour une peau de lapin, peut-être, et à partir courir dans la garenne.