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Des automates électrifiés parcourent la scène les yeux révulsés. Danseurs balinais déréglés par un son techno-tribal, leur sensualité exotique n’est plus, des pulsions de vie et de mort l’ont remplacée. Ils hésitent et se figent, rappelés à l’ordre par une alarme incendie assourdissante. Ils redeviennent statues, ridicules et sublimes, miroirs de vies exsangues. C’est temporaire. La disruption reprend et elle est irrésistible. Ils valsent cymbales à la main, résolus à avancer. Leurs mots inintelligibles, leur bave animale, leur appétit bestial sont une libido trop longtemps contenue. Le bal grotesque répare, révolte contre l’immobilité, opposition à l’ennui, résistance, résistance, résistance. D’ailleurs si vous n’aviez pas compris, les robes de chambre de boxeurs vous disent les punch, la droite, la gauche, l’uppercut que le spectateur va prendre. On n’est pas au carnaval ici. C’est la lutte, on fait la libération, la vraie. Grimaces et bouches ouvertes, hurlements muets, émancipation des visages et des corps, proclamation d’une vie nouvelle. La jouissance infinie est possible et c’est pour maintenant.

Mais s’émanciper de sa statue, c’est dur. On brave et on fanfaronne mais on a peur. On connaît les limites de son corps, l’impératif d’avoir des alliés avec soi. Alors on utilise le rire, arme absolue. Au micro, « Feelings » de Louis Gasté chanté en playback et le public s’écroule. Un peu plus tard « My body is a cage » (évidemment) d’Arcade Fire. Sensation magnifique qu’on se moque de nous tout en se moquant du monde. Et puis tant qu’à faire, on va recruter du soutien directement dans l’assistance. Une spectatrice est appelée à pousser des cris, un beau jeune homme est emmené en coulisse avec la promesse évidente d’une partie de jambes en l’air mémorable, les vêtements des uns et des autres sont saisis, échangés et manipulés avec un appétit joyeux et licencieux.

Opéra tribal halluciné dispensant la plus belle énergie vitale qui soit, « d’ivoire et de chair » est un spectacle auquel on rend la grâce de nous avoir réincarné.