DR

L’Islam soufi nous offre dans « La Conférence des oiseaux » un texte poétique d’une rare beauté, une recherche mystique. Voyage initiatique, symbolique de la quête humaine, « la Conférence » a été écrite par le Persan Farid Uddin Attar en 1177 et ressuscitée par Jean-Claude Carrière. Peu jouée dans sa version théâtrale depuis Peter Brook en 1979 aux Bouffes du Nord, elle a été proposée en opéra (Rigal/Chevalier en 2015) ou en contes d’enfants (Kowarsky). Le texte d’origine, sublime, traduit seulement en 1879 et peu réédité depuis, ne se trouve malheureusement que dans les échoppes des libraires d’occasion.

Pourtant, cette parole est éminemment contemporaine par les sujets abordés (migration, recherche de soi, éléments éternels de la psyché humaine), elle parle puissamment aux générations de ce monde en questionnement : la salle était pleine à craquer de jeunes, souvent rares dans les sièges des théâtres.
Présence justifiée aussi par la mise en scène ludique et colorée, mention spéciale aux artisans des masques qui ont réalisé un superbe travail.

Le cheminement de l’humain, de sa naissance à sa mort, trouve sa synthèse dans la structuration du texte, le doute avant la mise en marche, la souffrance du chemin et la joie de l’ensemble pour le parcourir, les sept vallées de la progression individuelle vers le sens : la recherche, l’amour, la connaissance, le détachement, l’unité de Dieu, la stupeur et l’anéantissement.

Le but de ce « wanderung », process initiatique de découverte de soi par le voyage cher aux Germaniques et aux Suisses, est de trouver le roi, Simorg. Tout au bout de la quête, la révélation surgit : le roi est soi, il est en nous, il est cet être que nous devons révéler: chez les catholiques, le baptême est un appel à la divinité, les soufis disent eux que Dieu est en chacun, qu’il faut se débarrasser de l’inutile par le cheminement pour mettre à nu cette divinité singulière.

Touffu, le texte est dangereux pour la compréhension du spectateur. L’attention aiguë est nécessaire, la concentration requise pour plonger dans ce parcours philosophique et se laisser emparer est permanente.Le jeu des acteurs est clairement au service de cet objectif. Alternant récit et jeu du conte, incarnation de l’oiseau et émergence de l’humain, l’équipe unie par une énergie et une esthétique construite, s’en sort bien, au service d’une œuvre essentielle. Même si les choix de lumière et de mise en scène se prêtent mieux à l’intimité d’une salle de taille moyenne, la production présentée est convaincante. Et efficace en ceci qu’elle donne le désir irrépressible d’acheter le texte à la sortie, d’aller plus loin, de poursuivre l’expérience du moment, acte indispensable pour tourner et retourner ces mots, ce chant d’une tendresse infinie même lucide sur l’humain et ses voies vers la lumière.