La roue tourne pour Micha Lescot

Départ volontaire

© Jean-Louis Fernandez

Difficile d’écrire sur le monde du travail en évitant d’audace ses a priori aussi fatigués que fatigants – encore plus lorsque le protagoniste travaille dans la finance… C’est sans compter Rémi De Vos et Christophe Rauck, qui dévoilent, avec « Départ volontaire », un passe-passe dramaturgique qui sied plutôt élégamment au grand Micha Lescot.

Encerclé par des figures interchangeantes voire interchangeables (la femme et l’amante, l’ami et le collègue, le n+1 et le syndiqué), elles-mêmes circulant à l’intérieur d’un monde de plus en plus démontable et kaléidoscopique – on saluera le travail d’Aurélie Thomas à la scénographie et d’Olivier Oudiou à la lumière –, le protagoniste sombre peu à peu dans une spirale qui floute dangereusement la distance entre sa propre névrose et le monde malade qui s’acharne bizarrement sur lui. À l’origine du malheur, un plan de « départs volontaires » dans son entreprise, auquel il s’accrochera au-delà de toute mesure, entre mécompréhension et mauvaise foi – la faute n’étant exactement d’aucun côté (si encore la notion de faute n’a pas disparu face à tant d’aseptisation). Chaque fois, il perd un peu plus pied, tandis que les scènes dramatiques sont de plus en plus entrecoupées d’un retour au récit des faits : le procès final de la banque face à l’homme en déréliction – un principe d’aller-retour au centre de la commande de Rauck pour De Vos –, dans lequel les divers personnages (à l’exception du protagoniste) revêtent passagèrement les robes et coiffes de la loi.

À bien des égards, « Départ volontaire » a l’originalité de rater une marche qu’il a lui-même maçonnée, car le drame a tendance à s’embourber dans une mentalisation d’assez bas étage, notamment lorsque Micha Lescot, se remémorant des traumatismes d’enfant, rêve son propre déterminisme social (on aura mal lu son Bourdieu) l’entraînant dans une implosion aussi illustrative (soit un homme en clair-obscur sur tournette dont le reflet est symboliquement diffracté dans des miroirs…) que difficilement crédible. Dommage que le spectacle – il est en fait assez rare de le dire –ne dure pas plus longtemps : car c’est faute de temps que le duo Rauck-De Vos s’engouffre dans la facilité sociologique. Ne faudrait-il pas imaginer une descente aux enfers dont les interminables composantes (lexique juridique, circularité des rapports, mobilité scénographique, instabilité lumineuse…) finiraient par avaler tout cru le spectateur épuisé ? Tant pis : « Départ volontaire », s’il n’a pas l’avantage de l’innovation formelle, reste une sémillante démonstration d’un duo à l’entente autour d’un thème qu’on aurait cru plus éculé.