Le logaèdre est mort ce soir

L'Animal imaginaire

DR

La lodoynamique moliéresque du « Malade imaginaire » a toujours inspiré Valère Novarina, et à défaut d’adapter cette œuvre (rêve qu’il a parfois mentionné) le titre de sa nouvelle « création » lui rend discrètement hommage. Si ses spectacles se sont toujours apitoyés nerveusement sur les carences métaphysiques de l’humanité, c’est la première fois qu’un titre aussi « mélancolien » en porte explicitement le stigmate. Cet « animal imaginaire » désigne en effet le fétiche d’un monde privé de viande et de matière (où même les « sinistres clébards » sont des santons cartonnés), trahissant une panne d’énergie plus fâcheuse : celle d’un paradis animal et théâtral perdu. Les habituels « sauteurs » novariniens s’assoient beaucoup ici, et ce dès le prologue, qui fait entendre laborieusement une énième angoisse de la page blanche, crise d’inspiration trop paradoxale pour être honnête car elle formule déjà tous les principes du drame à venir. La dérive systémique de Novarina révèle ici ses cruelles limites : reprisant beaucoup de séquences passées qui se dégustent alors comme les vieux sketchs de chansonniers (comme celui de Jean de La Matière, déjà rejoué dans « Le Vivier des noms »), et retissant la même dramaturgie (avec son chœur final, ses fausses tablées bibliques et ses petites annonces), l’auteur dramatise son entrée au répertoire et échoue par là même à refaire de la scène cette « poudrière d’apparitions » qu’il a toujours fantasmée. Seul le retour d’Edouard Baptiste parmi l’immortelle compagnie dynamise un peu l’ensemble, car même les atomes linguistiques semblent avoir perdu leur fougue habituelle : la langue se peuple de proverbes significatifs, de rimes entendues, de commentaires et d’intertextes appuyés, tandis que le présent fait souvent place au conditionnel. Et lorsque la fontaine du « vrai sang » surgit effectivement du sol, faisant de la métaphysique novarinienne une pure icône allégorique, on trouve que ce parquet blanc n’est plus une table rase aventureuse mais un linceul poétique. Dans ce chant d’automne, ce requiem for a « youmanbingue », toutes les prières finales sonnent comme des aveux d’impuissance, en particulier celle-ci : « Seigneur ! Pardonne aux acteurs qui n’ont pas agi. »