L’extrême-onction

Una costilla sobre la mesa: Madre

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« Nous sommes tous des morts. Prends ton drap et viens. Regarde. » Le deuil maternel semble paradoxalement apaiser Angélica. Pas uniquement sur la forme, plus resserrée et moins démonstrative, mais surtout sur son rapport au monde, qu’elle semble expulser avec plus de tripes que de hargne, drapée de cette douleur triste qui la fait glisser, grâce aux chants et aux litanies, de harpie à madone, de fille orpheline à femme sans fille. Ligotée volontaire à sa croix, elle devient repentie obscure tentant d’expulser par la bouche ce que jamais son ventre n’a su engendrer. Certes, ces métamorphoses et thématiques émaillent ses précédents spectacles, mais dans ce dernier opus, oratorio pour sa mère morte, elle accueille le pardon, le donne et se libère un peu de ses chaînes transgénérationnelles, même si elle doit alors « supporter l’amour qui fait plus de mal que cinquante ans de haine ». Pour cette oraison funèbre, elle s’accompagne des fantômes nécessaires, des pèlerins et des reliques, mais surtout d’un magicien de la voix, oracle terrien qui parvient à convoquer les dieux par le vibrato surpuissant de ses cordes vocales. Chanteur de flamenco traditionnel, El Nino de Elche, que nous avions déjà entendu dans la cour d’honneur d’Avignon avec Israel Galvan, livre à ses côtés une performance hallucinante, degré ultime de la lamentation, dans une scène qui n’en finit pas de hurler les douleurs avec cette force tellurique capable d’ébranler le ciel. « L’Espagne met dans la religion la férocité naturelle de l’amour », écrivait Baudelaire. Et leur foi alors inébranlable transformera en mantra agissant ce verset de l’Évangile de Luc : « Retourne chez toi et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi. » Il n’y a plus de foyer, plus de lieu refuge, et c’est par un retour aux origines (l’enfance, le ventre qui porte la vie, le pays natal) qu’Angélica Liddell, insupportable et fascinante, touche une nouvelle fois au sublime.