Nous avions déjà croisé l’écriture du jeune Autrichien Ferdinand Schmalz la saison dernière au Poche. La spécificité de ce théâtre dans la vieille ville de Genève est précisément d’être l’écrin de la découverte de ces textes dramatiques d’aujourd’hui peu ou pas audibles dans les sphères théâtrales traditionnelles. Joué pour la première fois en français, « Viande en boîte » est une divagation en prose sur la vitesse et le mouvement, expérimentée depuis le point fixe d’une station d’autoroute par un agent d’assurance et deux femmes aux desseins thaumaturgiques. Oui, elles l’affirment, l’accident s’il ne vous tue pas, vous rend infiniment plus vivant, et c’est investies de cette mission que nos deux amazones sévissent entre sandwichs triangle et machines à café. Spoliées (l’une de sa maison recouverte désormais d’asphalte, l’autre des fastes de sa vie de star), elles n’en demeurent pas moins maîtresses du temps et des à venir de ces routiers qui cherchent comme des automates à tutoyer le lointain. Cet équipage n’est pas tout à fait fantastique, certes, mais permet d’opérer les conditions possibles d’un changement majeur car structurel dans ce monde en bout de course. L’accident comme voie de sortie, voilà l’enjeu et tout l’intérêt de cette pièce qui s’inscrit consciemment dans les archétypes du contemporain. La mise en scène tente de rendre cette no go zone picturale entre Lynch et Hooper mais surligne plus qu’elle ne révèle tant l’écriture semble se suffire. L’univers très dessiné suinte des mots qui génèrent à eux seuls la réminiscence de toute une mémoire cinématographique. Peut-être que la théâtralité – comme la vérité – est ailleurs. Une image pertinente : cette porte encombrée de matelas en mousse qui forcent à creuser les interstices pour accéder au plateau et assurent une parade efficace en cas de crash. Un tampon poreux entre nulle part et chez soi qui laisse un espace pour “organiser les plaies” et permettre au mouvement perpétuel d’empêcher le pourrissement de la chair.