En descendant des escaliers au fond de l’arrière-cour du Théâtre du Gymnase se révèle à nous un espace inattendu et insoupçonné, comme un morceau d’un autre temps dans lequel nous serions invités à pénétrer. Elise Vigneron, pour sa mise en scène de “L’Enfant”, inspiré de “La mort de Tintagiles” de Maeterlinck, construit dans l’espace du Théâtre du Gymnase un univers au baroque suranné, empruntant tout à la fois au fantastique et à un monde post-apocalyptique.
Les escaliers descendus et la première coursive franchie, le spectateur est ainsi invité directement sur scène à contempler les vestiges d’un palais détruit et à entendre la parole d’Ygraine, qui vit dans la terreur de la méchante reine exerçant son emprise sur tous les êtres de son royaume. Le retour du mystérieux Tintagiles, petit-frère disparu incarné ici sous les traits d’une marionnette, va conduire Ygraine à affronter la reine et à revenir au château, dans une lutte quasi à mort. Ce drame symboliste de Maeterlinck, réadapté par la metteure en scène et sa dramaturge Manon Worms nous conduit, par l’univers du conte, dans les arcanes d’un conflit entre deux femmes où l’une cherche à s’émanciper de l’autre, présence fantomatique et pourtant omniprésente planant sur les lieux. Le monologue d’Ygraine semble dès lors donner vie à l’espace, qui se reconstruit autour de nous au fur et à mesure que son combat – protéger Tintagiles et se libérer elle-même – s’affirme. La parole éclate ainsi dans sa dimension magique et performative ; les portes se redressent et les murs se reconstruisent ; Ygraine cherche une issue et le spectateur avec elle, enfermé dans un dispositif quasi-immersif.
« L’Enfant », fidèle à la tradition symboliste, nous fait vivre une expérience plus sensorielle que dicible, l’histoire d’un combat et la tentative d’une échappée restituée par une scénographie saisissante qui englobe le public en son sein. Ce théâtre à la parole parfois hiéroglyphique produit des images fortes, où le mystère a toute sa place. Un mystère précisément porteur de sens, dont la forme se rapproche peut-être au plus près de ce qu’on pourrait appeler le tissu diffus des sensations ; si difficiles à nommer, dont la vision permet parfois mieux d’en comprendre quelque chose. « L’Enfant »a donc quelque chose d’une pièce Sphinx, qui si on en accepte l’expérience et la proposition, sonne comme une énigme dont la résolution se fera peut-être après-coup, dans la remémoration du spectacle et de ses images qui, en dernier lieu, ont quelque chose d’absolument universel.