© Nicolas Boudier

Le théâtre optique de Joris Mathieu, songe technologique et énigmatique, avait initié notre regard au trouble infini des images. “En marge !”, qui se présente comme un grand cabaret du rire, en est a priori l’exact opposé. Les cinq écrans disposés par le scénographe Nicolas Boudier et animés par Siegfried Marque diffusent des visuels on ne peut plus paralysés : gifs illusionnistes et putassiers, tutos maquillés, vœux présidentiels, captures d’écran de jeux électroniques… D’une scène métaphysique qui transcende la quotidienneté, le metteur en scène prend cette fois le risque du “théâtre comme moyen de désolation”. Le dispositif scénique, qui aplanit l’espace en deux dimensions et relève de l’installation artistique, reproduit la dualité du “Loup des steppes” (roman de Hesse dont Joris Mathieu s’inspire très librement). La parole de Harry (interprété par Philippe Chareyron et Vincent Hermano) est complètement phagocytée par les citations utopiques et désabusées de la post-modernité (slogans soixante-huitards, humeurs godardiennes et audiardiennes…). Son moi est un corps qui tombe dans le supermarché du visible abrutissant et sans promesse. Son double vit dans un monde d’écrans verts où toutes les projections et les fantasmes semblent possibles, une autre réalité sans épaisseur où l’intériorité profonde pourrait être retrouvée (« Je t’aide à visualiser ton propre monde » lui promet l’inconnue féminine, incandescente Marion Talotti). Au lieu de s’imposer triomphalement comme un sanctuaire sensible, un royaume de silence préservé de la précipitation contemporaine, le théâtre de Joris Mathieu semble chercher comme son héros une nouvelle porte de sortie. Dans la lenteur qu’il impose et l’ouverture signifiante qu’il offre à des répliques maintes fois entendues, il renouvelle bel et bien son pari marginal. « Glacé, je poursuivis mon chemin, rêvant à cette trace, plein du désir de voir s’ouvrir la porte d’un théâtre magique, seulement pour les fous » murmure le héros de Hermann Hesse, nostalgie théâtrale dont « En marge ! » s’empare avec fête.