Matières et mémoires

Mes hommages

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Thomas Lebrun, dans ce spectacle protéiforme composé de trois solos, signe une création aux échos multiples et foisonnants : ode à l’amour, à la création, mais également au temps qui passe.

On verra ainsi le rapport au temps comme fil conducteur de ce spectacle ; celui qui nous relie aux êtres chers mais disparus, sans nostalgie mais avec la reconnaissance de ce qu’ils ont apporté à nos vies. L’être aimé pour Françoise Michel, compagne de longue date de la danseuse et chorégraphe Odile Duboc, décédée en 2010, la famille et la terre natale pour Thomas Lebrun et Odile Azagury. Dessinant pour chacun des danseurs, y compris lui-même, un écrin tout personnel, Lebrun nous plonge dans un univers de beauté et de grâce, fait de détails significatifs où les corps sont amenés à exprimer leur individualité. Matières et mémoires se rencontrent alors sur le plateau ; Françoise Michel jongle avec les formes et les couleurs au son de la voix de sa compagne disparue, Lebrun joue sur les déguisements et travestissements, incarnant tour à tour lui-même et des membres de sa famille, Odile Azagury expose son corps où le passage du temps devient un parchemin sur lequel se lisent les années de danse et de discipline physique tout comme les effets de l’histoire. Les enregistrements sonores, comme autant d’archives, utilisés avec brio, constituent ce qui nous sépare du temps passé mais également ce qui nous y relie, scandant tout à la fois l’évanescence et la permanence du souvenir. Azagury, dont le solo clôture le spectacle, devient alors métaphore, incarnation sensible de la matière du temps : non plus une vie humaine mais toutes les vies, image christique d’une forme d’origine de l’humanité qui à l’échelle du quotidien nous est impossible à saisir. Les « hommages » de Lebrun s’extraient alors du particulier pour rejoindre une dimension universelle et proprement métaphysique, ramenant à ce qu’est une vie humaine dans sa fragilité et sa grandeur ; l’alliage permanent de la beauté et du tragique. Le temps ici se fait chair, espace et voix, et par le sensible mène précisément dans ce qui ne peut s’exprimer par la langue. Par son hommage à la vie humaine et aux pouvoirs de la danse, le chorégraphe nous offre ainsi une expérience hors du commun, bouleversante de sensibilité et de finesse, qui nous fait toucher aux cimes de la grâce et de la fragilité. Une mise à nu qui ne pourra pas laisser indifférent.