Mon cul mystique sur la commode

Cent millions qui tombent

© Oscar Chevillard

Raclure de bidet inachevée de Georges Feydeau, « Cent millions qui tombent » détrempe sa grosse artillerie boulevardière dans les brumes inquiétantes du théâtre bourgeois. Un certain Isidore Raclure (interprété par Ferdinand Niquet-Rioux, pièce rapportée trépidante du collectif) empoche le beau magot d’un foyer cocu, où Mame Paulette de Sortival (Lisa Hours) fricote avec un acteur, gros queutard du Grand-Guignol (Manuel Severi). Si de nombreux metteurs en scène (comme Alain Françon) ont considéré très sérieusement Feydeau comme le révélateur d’un inconscient social, Les Bâtards dorés l’entraînent pour la première fois à la périphérie dramatique de son époque, faubourg des grands cauchemars guignolesques, de la pantomime noire et des mystères médiévaux symbolistes qui déchirent alors la propreté comique de l’image. Un animateur ringard, amateur de pétomanie mélomaniaque et de devinettes Carambar pour nourrissons, nous accueille ici sous une poursuite qui menace de sombrer dans les ténèbres. Dans la grande tradition des classiques qui s’encanaillent, les murs en carton ne seront pas éternels et les immortels masques d’animaux serviront de gadgets graveleux.

La provocation innovante des Bâtards Dorés défigure avec culot et intelligence les horizons d’attente. Le collectif déréalise progressivement les contours parodiques de cette pantalonnade marmiteuse, sans jamais expliquer les potentielles motivations psychanalytiques ou sociologiques de l’affaire (serait-ce une vision irrationnelle de la folie monétaire ou la dérive impensable et révolutionnaire d’un majordome parvenu ?). Rappelant Buñuel dans son explosion anamorphique et le théâtre de François Tanguy par ses armures errantes, l’acte médiéval final, qui passe la farce au laser, n’évacue pas le burlesque qui l’a vu naître. Avec cette création, qui devrait emporter encore davantage quand l’irresponsabilité du voyage sera plus assumée, les Bâtards ne dédorent pas leur pseudonyme. La notoriété offerte par « Méduse » n’émousse pas l’intranquillité de leur geste, chose rare et louable dans le destin des jeunes créateurs. Surtout quand le risque n’est pas de choquer le bourgeois mais d’échapper à la tyrannie du politique, de passer de la rhétorique comique au symbole hermétique, de bâtardiser les esthétiques pour que le théâtre réclame à gros pets ce qui le hante et le menace.