(c) Simon Gosselin

La parution du dernier roman de Houellebecq, « Anéantir » et le scandale Orpea : voilà une double synchronicité de l’actualité offrant une chambre de résonance au saisissant spectacle d’Alexander Zeldin qui représente la fin de vie dans les maisons de retraite et la relation altérée que l’on entretient avec les personnes âgées.

Rappeler que la vieillesse est un naufrage, dixit De Gaulle à propos de Pétain, ce n’est pas qu’un point Godwin. C’est aussi constater que, dans nos sociétés occidentales contemporaines, on rejette ad nauseam, aussi bien collectivement qu’individuellement, la peur de l’écroulement mental et physique. On la repousse hors du périmètre de nos vies, confinant son objet dans les centres d’enfermement adéquats, à propos desquels il n’est pas besoin d’avoir lu Foucault pour en saisir la portée tragique. « Un mort dans la famille » mélange avec justesse les dimensions sociale et intime de ce tragique-là, laissant le soin à la parole et aux gestes de la quotidienneté – familiale ou professionnelle – de signifier toute la complexité des enjeux, qu’ils soient psychiques, générationnels ou économiques.

Ce qu’Alexander Zeldin donne à voir sur Marguerite, récemment transférée dans un Ehpad par sa fille Alice, est toutefois d’un documentarisme ambigu. Tout d’abord par une approche intimiste qui fusionne une fraction du public avec la scène, mais dont l’impact du dispositif semble noyé, aux Ateliers Berthier, dans la jauge du lieu. Ensuite et surtout par le curieux mélange du réalisme froid des situations avec l’artificialisation de certaines scènes qui semblent céder à une certaine re-théâtralisation contradictoire avec le parti pris de Zeldin, dont l’un des symptômes est la présence de Marie-Christine Barrault aux côtés de bon nombre de comédiens amateurs ; mais aussi la scénographie, crue puis spectaculaire – dévoilant ses entrailles – et dédoublée par une texture sonore déréalisatrice. Pour le dire autrement : on aurait préféré un naturalisme encore plus radical qui, évitant le piège de la démonstration, débarrasse également le spectateur de toute arrière-pensée de monstration.

Reste qu’en dépit d’une hétérogénéité équivoque, « Une mort dans la famille » est un shot de vie brute dont l’injection s’avère salutaire, parce qu’aussi impitoyable que ces fins de vie dont on ne veut rien voir. Là où les frères Dardenne semblaient constituer, quant à leur cinéma, la primauté du caractère moral plutôt que social, lui donnant une force nerveuse de tension avec l’argumentation intérieure que se construit le spectateur, on peut se demander ce qui sous-tend vraiment l’œuvre de Zeldin : peut-être est-elle simplement, par la puissance présentielle du théâtre, une autre façon de regarder la vérité en face, voulue sans apitoiement et sans indifférence.