Je n’ai pas vraiment vu “Patriarcat”, la pièce que présente à la MC93 la Winter Family – Ruth Rosenthal, Xavier Klaine et leur fille Saralei, créée à partir des enregistrements des agressions verbales de Xavier sur Ruth, que celle-ci a eu la drôle d’idée de consigner méticuleusement pendant deux années, dont une ou deux périodes de confinement que Xavier a de toute évidence mal vécues.
Ou plutôt, je ne l’ai vue que partiellement puisqu’avec quelques autres spectateurs j’ai été invité par Saralei, en cours de spectacle et sur un air de flûte traversière, à quitter la salle pour rejoindre un canapé positionné derrière la scène ; Olivier, un pote de Xavier, nous y a offert du whisky, du vin et des cigarettes afin que nous figurions ensemble, lors du lever de rideau qui accompagne la scène finale, un certain tableau du patriarcat : cinq hommes assis devant une table basse couverte de magazines en train de picoler et de fumer. De sorte que je n’aurai vu de ce spectacle que sa première partie, celle qui m’intéressait à vrai dire, celle qui restitue une certaine vérité du patriarcat en faisant entendre, non pas les insanités proférées par des monstres créés pour la cause par des auteurs bien intentionnés, mais bien la réalité documentaire des agressions habituelles au sein d’un couple a priori progressiste.
Le résultat est écrasant : c’est un nuancier très complet des violences verbales qui affleurent dans une vie commune, une litanie de reproches, d’insultes et de jérémiades sans filtre, des phrases pleines d’amertume et de haine de soi, Xavier moque la passion de Ruth pour le “théâââtre”, Xavier trouve que Ruth chante mal, que Ruth danse pas mal mais “pourquoi fait-elle toujours un sourire débile quand elle danse”, Xavier traite Ruth d’”ashkénaze coincée du cul”, Xavier lui reproche leur vie nulle, et l’on déteste Xavier d’autant plus franchement que l’on retrouve forcément quelque chose de nos pires moments dans ces propos odieux, où la misogynie donne son cadre d’expression à la frustration, l’exaspération blessée, la faiblesse et la dépression du quadragénaire insatisfait.
Un tel étalage de vilénies pourrait être insupportable – il est, au contraire, passionnant, parce qu’il ne s’agit pas de la parole furieuse d’une femme blessée rapportant l’agression d’un homme qu’elle aurait quitté, mais bien de la vie ordinaire d’une famille qui se perpétue sous nos yeux et apparaît sur scène au complet, meurtrie mais préservée, à mi-chemin entre le happy end et la continuation d’un couple dont l’épouse serait, quand même, assez méchamment battue.