Nous l’avons tant aimée. Elle nous déçoit aujourd'hui. Avec la « Lettre de saint Paul... », Angélica Liddell trouve son chemin de Damas mais laisse le spectateur au bord de la route.
On n’avait guère été emballé l’an dernier par « You Are My Destiny », avec ses longs moments d’ennui – Liddell passant son temps à consulter son téléphone portable, ne s’emparant du micro qu’à de rares occasions ; du moins y avait-il quelques beaux moments de théâtre. Comme cette apparition miraculeuse, descendue des cintres, d’une Cadillac, coiffée de la peluche géante du Lion de Saint-Marc, tandis que retentissait la chanson célèbre de Paul Anka. Ici, le spectateur n’est gratifié d’aucune récompense.
Pourtant le plateau est beau : au fond de la scène, une reproduction géante de la « Vénus d’Urbin », du Titien, savamment éclairée, est drapée de rideaux rouges qui s’affalent avec opulence sur le sol comme en invitation à la sensualité. L’arrière-plan manquant du tableau est alors transposé sur scène : une servante s’affaire autour d’une mallette, qu’un homme nu vient de lui apporter. Elle en sort des accessoires supposés représenter l’amour mystique : un calice, un mouchoir immaculé, un objet dont on ne sait, vu de loin, s’il s’agit d’un crucifix ou d’un godemiché… Tout cet attirail, associant l’amour et la mort, tels ces crânes de cerf évoquant la légende du collier « Caesar hoc mihi donavit », prépare l’entrée en scène de Liddell.
Comme toujours chez Liddell, on est touché par le texte, la beauté convulsive de ses images, ses réactivations de lieux communs bibliques et littéraires, ses anaphores obsessives. On songe à la tradition épistolaire de ces grandes amoureuses malheureuses, des « Héroïdes » d’Ovide aux « Lettres d’une religieuse » de Guilleragues. Le propos de la pièce, assez simple, est tiré d’une Épître de saint Paul aux Corinthiens légèrement corrigée : « Trois choses demeurent : la foi, l’espérance et l’amour. Mais la plus grande des trois, c’est l’amour. » Bien sûr, pour Liddell, l’amour est compliqué et passe par la déchéance de la femme et une sublimation de l’homme, identifié à Dieu. Fallait-il pour autant sacrifier la chevelure d’une jeune figurante, convoquer des femmes nues et tondues, la photo de Charles Manson pour le signifier ? La « performance » paraît bien artificielle, et on se demande si cette « lettre » méritait vraiment d’être « postée ».
On comprend que les auteurs de théâtre, à la recherche de nouvelles métaphores, puissent trouver dans le mystère de l’incarnation et la métaphysique chrétienne des images inédites. Rien ne manque ici : la blanche colombe, la robe rouge sang de Marie-Madeleine, les ulcères de Job et l’eczéma de l’héroïne des « Communiants » de Bergman, Moïse et l’image invisible, la transsubstantiation, le mouchoir qui se transforme en Saint-Suaire maculé par une transfusion de sang en direct… Liddell semble croire que cette juxtaposition de signes suffit pour que le théâtre advienne. Ce n’est pas parce qu’on fait tomber des poutres du ciel avec fracas qu’on est Castellucci. C’est à la fois indigeste et théâtralement insipide.
Au moment des saluts, qui s’effectuent en retrait, loin des spectateurs, l’amoureux d’Angélica traverse le plateau pour lui offrir un bouquet de roses rouges et venir l’embrasser. On est heureux pour elle, mais on ne se sent guère concerné par ce moment kitsch. Tout ça pour ça ! On lui souhaite, en tout cas, bien du bonheur. Ou pas.