Angélica Liddell : lettre sans destinataire

Primera carta de San Pablo a los Corintios Cantata BWV 4, Christ lag in Todesbanden. Oh, Charles !

Nous l’avons tant aimée. Elle nous déçoit aujourd'hui. Avec la « Lettre de saint Paul... », Angélica Liddell trouve son chemin de Damas mais laisse le spectateur au bord de la route.

Angélica Liddell Primera carta de San Pablo a los Corintios. Cantata BWV 4, Christ lag in Todesbanden. Oh, Charles! Première épître de saint Paul aux Corinthiens. Cantate BWV 4, Christ lag in Todesbanden. Oh, Charles! - deux spectacles du Cycle des résurrections 1h25 - Salle Charles Apothéloz En espagnol, surtitré en français Dans Primera carta de San Pablo a los Corintios. Cantata BWV 4, Christ lag in Todesbanden. Oh, Charles ! Angélica Liddell travaille le tressage du sacré avec le profane, puisqu’elle en passe par ce sacrilège : transposer l’ardeur de l’amour pour Dieu, telle que saint Paul l’a décrite, sur les zones de l’amour profane. Comme pour vérifier, par la représentation, que Dieu et l’amour sont la même chose. Ce spectacle ainsi que Tandy, présenté du 26 au 29 mars à Vidy, sont baignés d’une atmosphère baroque, galvanisante, semblent confondre parfois le contexte d’un théâtre avec celui d’une église : ils peuvent se définir comme des vanités, mais davantage par rapport à l’amour que par rapport à la mort. Soit des pièces qui nous rappellent de manière physique que toutes les possessions, toutes les réussites, tous les succès sont lettres mortes sans amour. Angélica Liddell C’est en 2010 que le public de théâtre francophone découvre Angélica Liddell au Festival d’Avignon : elle y présente deux pièces coups de poing, El año de Ricardo et La Casa de la fuerza. Elle travaille pourtant à Madrid avec sa compagnie Atra Bilis depuis 1993, mais jusque-là dans des réseaux de diffusion plus marginaux, plus erformatifs. Chacun de ses spectacles est une tentative de rédemption. Elle prend la douleur du monde sur le plateau, en elle, déplace la sauvagerie de certains dysfonctionnements collectifs sur l’intime de son propre corps, et cherche une expiation dans le geste artistique, même s’il faut pour cela aller jusqu’à la violence, l’épuisement, la mise en danger. Auteure, metteure en scène, performeuse, Angélica Liddell est une artiste extra-ordinaire, toujours sur le fil d’un rasoir qui hésite à trancher entre la réalité et la fiction. En 2011, elle présente Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation, qui décline en français un abécédaire de la méfiance. Elle est maintenant entrée dans une série de pièces sur la résurrection, faite de You Are my Destiny (Lo stupro di Lucrezia), Tandy et Carta de San Pablo a los Corintios. Beethoven, sinfonia n° 7. Texte, mise en scène, scénographie et costumes :
 Angélica Liddell   Traduction en français : Christilla Vasserot   Surtitres : Victoria Aime   Lumière :
 Carlos Marquerie   Son :
 Antonio Navarro   Régie lumière :
 Octavio Gómez   Direction technique :
 Marc Bartoló   Assistanat à la mise en scène et régie : 
Julio Provencio   Production :
 Mamen Adeva   Direction de production :
 Gumersindo Puche   Maquillage et coiffure : Laetitia Rochaix   Rideaux :
 ShowTex   Impression de peinture :
 Big Image Systems   Taxidermie : 
Taxidermia Fer Fauna   Avec : 
Victoria Aime
Angélica Liddell
 Sindo Puche (en alternance avec Borja López) Et avec 10 figurantes : Carine Baillod 
Emmanuelle Coutelier
 Yael Maim Sonia Noya Anna Sarukhanyan
 Valentina Tchanz 
Murielle Tenger Elsa Triquet 
Lisa Veyriez
 Suzanne Widmer Et une infirmière : 
Montserrat Carvajal Production déléguée et diffusion :
Atra Bilis Teatro/laquinandi, S.L. Coproduction :
Théâtre de Vidy
Odéon – Théâtre de l’Europe
Festival d’Automne à Paris
68° Ciclo di Spettacoli Classici al teatro Olimpico di Vicenza – Comune di Vicenza –
Fondazione Teatro Comunale Città di Vicenza
La Bâtie-Festival de Genève
Theater Chur
Künstlerhaus Mousonturm
Bonlieu Scène nationale Annecy Avec le soutien de :
Communauté de Madrid et Ministère
De l’Education, de la Culture et des
Sports – INAEM Répétitions et création à Vidy

On n’avait guère été emballé l’an dernier par « You Are My Destiny », avec ses longs moments d’ennui – Liddell passant son temps à consulter son téléphone portable, ne s’emparant du micro qu’à de rares occasions ; du moins y avait-il quelques beaux moments de théâtre. Comme cette apparition miraculeuse, descendue des cintres, d’une Cadillac, coiffée de la peluche géante du Lion de Saint-Marc, tandis que retentissait la chanson célèbre de Paul Anka. Ici, le spectateur n’est gratifié d’aucune récompense.

Pourtant le plateau est beau : au fond de la scène, une reproduction géante de la « Vénus d’Urbin », du Titien, savamment éclairée, est drapée de rideaux rouges qui s’affalent avec opulence sur le sol comme en invitation à la sensualité. L’arrière-plan manquant du tableau est alors transposé sur scène : une servante s’affaire autour d’une mallette, qu’un homme nu vient de lui apporter. Elle en sort des accessoires supposés représenter l’amour mystique : un calice, un mouchoir immaculé, un objet dont on ne sait, vu de loin, s’il s’agit d’un crucifix ou d’un godemiché… Tout cet attirail, associant l’amour et la mort, tels ces crânes de cerf évoquant la légende du collier « Caesar hoc mihi donavit », prépare l’entrée en scène de Liddell.

Comme toujours chez Liddell, on est touché par le texte, la beauté convulsive de ses images, ses réactivations de lieux communs bibliques et littéraires, ses anaphores obsessives. On songe à la tradition épistolaire de ces grandes amoureuses malheureuses, des « Héroïdes » d’Ovide aux « Lettres d’une religieuse » de Guilleragues. Le propos de la pièce, assez simple, est tiré d’une Épître de saint Paul aux Corinthiens légèrement corrigée : « Trois choses demeurent : la foi, l’espérance et l’amour. Mais la plus grande des trois, c’est l’amour. » Bien sûr, pour Liddell, l’amour est compliqué et passe par la déchéance de la femme et une sublimation de l’homme, identifié à Dieu. Fallait-il pour autant sacrifier la chevelure d’une jeune figurante, convoquer des femmes nues et tondues, la photo de Charles Manson pour le signifier ? La « performance » paraît bien artificielle, et on se demande si cette « lettre » méritait vraiment d’être « postée ».

On comprend que les auteurs de théâtre, à la recherche de nouvelles métaphores, puissent trouver dans le mystère de l’incarnation et la métaphysique chrétienne des images inédites. Rien ne manque ici : la blanche colombe, la robe rouge sang de Marie-Madeleine, les ulcères de Job et l’eczéma de l’héroïne des « Communiants » de Bergman, Moïse et l’image invisible, la transsubstantiation, le mouchoir qui se transforme en Saint-Suaire maculé par une transfusion de sang en direct… Liddell semble croire que cette juxtaposition de signes suffit pour que le théâtre advienne. Ce n’est pas parce qu’on fait tomber des poutres du ciel avec fracas qu’on est Castellucci. C’est à la fois indigeste et théâtralement insipide.

Au moment des saluts, qui s’effectuent en retrait, loin des spectateurs, l’amoureux d’Angélica traverse le plateau pour lui offrir un bouquet de roses rouges et venir l’embrasser. On est heureux pour elle, mais on ne se sent guère concerné par ce moment kitsch. Tout ça pour ça ! On lui souhaite, en tout cas, bien du bonheur. Ou pas.