La litanie des retours

Retour à Berratham

Il y a des rendez-vous à ne pas rater. Apprivoiser son renard prend du temps certes, et nécessite une attente propice à la préparation du cœur et de l’esprit.

D.R.

D.R.

Il y a des rendez-vous à ne pas rater. Apprivoiser son renard prend du temps certes, et nécessite une attente propice à la préparation du cœur et de l’esprit. Tel le Petit Prince, le festivalier connaît la date de la rencontre, et il faut bien toute une année pour s’y préparer. Le voilà enfin, son ticket à la main, assis dans la Cour d’honneur. L’attente est grande et la folie du lieu y ajoute toujours un je-ne-sais-quoi de mystique. Le terrain n’est pas inconnu, le duo Mauvignier-Preljocaj parle à tous, trompettes, silence, ciel encore entre chien et loup.

« Retour à Berratham » (ne cherchez pas cette ville sur GoogleMaps…) se veut une fable épique et moderne, un homme rentre chez lui retrouver celle qu’il aime mais la guerre et les effets collatéraux de la guerre y ont laissé des cicatrices. Il n’y a malheureusement pas grand-chose à dire sur ce texte de Laurent Mauvignier, auteur à la mode de la littérature française, qui peine à faire sens. Cette histoire est tout simplement sans intérêt. À sa décharge, il est difficile de porter attention à des mots si mal mis en valeur, car oui, acteur est un métier. Non, il ne suffit pas d’une jolie robe et d’un accent slave pour interpréter, ni de boucles blondes et angéliques pour capter et emmener avec soi, dans la fiction, ceux qui écoutent. Le trio de récitant est pauvre, inaudible, monocorde, sans flamme ni foi. Le texte sonne creux, l’histoire est déjà vue, datée. L’esprit s’en va alors, retrouver les merveilleux acteurs qui ont transcendé ce plateau.
Simon McBurney, reviens !

Et la danse dans tout ça ? Car oui, rappelons-le, Angelin Preljocaj est chorégraphe, habitué d’Avignon et reconnu partout et par tous. Les trop rares morceaux chorégraphiés sont propres mais pas révolutionnaires. C’est du travail bien exécuté, honnête, sans grandeur ni modernité, mais heureusement qu’ils sont là. Ce sont les respirations poétiques de ce spectacle, et on se voit espérer que les voix se taisent, que les corps prennent le pouvoir et qu’on laisse cette bande de voyous minables s’entre-tuer en silence. Vœux pieux, hélas. Les oreilles s’enfuient alors, chercher les souvenirs des textes percutants entendus sur cette scène. Warlikowski, reviens !

Pour un metteur en scène, le pari de la Cour est toujours une inconscience. Il faut une part de folie pour accepter de prendre possession de cet espace qui n’est pas à la mesure de l’homme. La tentation du spectaculaire est grande, et celle de tomber dans une ignorance volontaire de la majesté du lieu est tout aussi inepte. Le choix de la scénographie révèle encore plus qu’ailleurs les intentions du démiurge, et Adel Abdessemed paraissait taillé pour le défi. Hélas, trois fois hélas, nous voilà plongés dans un univers au croisement de « West Side Story » et d’« Un, dos, tres » (mais si ! la sitcom espagnole… Amis trentenaires, je vous salue !). Néon-étoile et cages-grillage amovibles n’apportent pas grand-chose au presque rien.
Les yeux pleurent alors, blessés de ne pas se nourrir d’une nouvelle esthétique qui fasse sens et qui pousse à la mise en mouvement de l’esprit.
Castellucci, reviens !

Entrer dans la Cour pendant le festival est une danse en soi. S’asseoir et se préparer à recevoir une parole, protégé par ces murs épais d’histoires et de siècles suffit à avoir le sentiment de vivre un moment précieux. Pourtant, le festivalier d’Avignon veut qu’on le surprenne, qu’on devance ses envies et qu’on lui ouvre un nouveau champ des possibles. Raté pour cette année.

Nous reviendrons l’année prochaine et espérons que cette scène soit de nouveau celle des avant-gardes et de la prise de risque. Vœux pieux ?
Esprit de création, reviens !