Aubervilliers ou rien

Coproud et Fassbinder/Aubervilliers

affiche-inaccoutumes-2016Solide programme pour les Inaccoutumés 2016 : César Vayssié et Olivia Grandville, Maxime Kurvers, Maguelone Vidal, Anna Gaïotti, Myriam Gourfink et Kasper T. Toeplitz, Lorenzo De Angelis, Sophie Perez et Xavier Boussiron, Antonija Livingstone et Nadia Lauro. Comme chaque année depuis 1995, la Ménagerie de verre révèle des langages artistiques et nous propose une nouvelle idée du « beau ». Plus que jamais à la frontière des genres – danse, théâtre, musique –, cette édition sera aussi celle qui fait se frotter la création contemporaine à l’amateurisme, à l’illégitime.

Le mardi 8 novembre au soir, les murs du garage de la Ménagerie de verre tremblaient aux sons vocodeur du titre « Le Monde ou rien », de PNL, dans « Coproud », d’Olivia Grandville et César Vayssié, puis mercredi, dans ce même garage, on entend les voix enregistrées des habitants d’Aubervilliers qui, le temps d’un trajet de bus, ont parlé de l’avenir, de la mort, de la paix, de la France, de l’art et de l’argent dans « Fassbinder/Aubervilliers », de Maxime Kurvers. Des visages et des voix auxquels les scènes du théâtre et de la danse contemporaine ne sont pas accoutumées.

En ce début de festival, le théâtre sort dans la rue et la rue entre dans le théâtre. Olivia Grandville et César Vayssié troquent le lever de rideau contre un lever de porte de garage et mettent le public face à la bouche béante du dehors. Ils font prendre l’air à leur duo sur les pavés mouillés de la rue Léchevin. Maxime Kurvers n’ouvre pas le garage, il fait entrer un film. Il fait entrer la voix de gens qu’on n’entend pas. Les illégitimes de l’espace scénique. On ne s’étonne pas alors qu’il assiste Jérôme Bel. On pense à des spectacles comme « Tombe » ou « Gala ».

Est-ce qu’un film est légitime dans la création théâtrale ? Un homme de théâtre qui crée un long-métrage et un réalisateur qui chorégraphie et interprète un duo de danse contemporaine, la question de la légitimité se déplace aussi sur la figure de l’artiste. Qui mérite la scène ? Qu’est-ce qui mérite qu’on dépense de l’argent pour l’aller voir ? Quelle valeur accorde-t-on à une production artistique qui ne semble pas experte, à un artiste qui ne semble pas virtuose ? À partir de quand une production artistique peut-elle valoir le prix d’une place, peut-elle valoir d’être programmée dans une salle ?

Olivia Grandville et César Vayssié entrent sur scène en voiture quand Maxime Kurvers fait jouer un extrait d’« Einstein on the Beach », de Bob Wilson, sur le plateau instable d’un bus accordéon de la ligne 35 direction Mairie-d’Aubervilliers. Il y a quelque chose de l’ordre de la mobilité, une aspiration au déplacement qui se dégage de cette édition 2016. Marie-Thérèse Allier conseille à Maxime Kurvers au début de son film de partir pour aller chercher le théâtre dans une ville communiste de banlieue. L’inaccoutumance avec une odeur d’essence et des bruits de moteur. La « question théâtre » – pour réemployer une expression très curieuse d’Alain Badiou interviewé dans « Fassbinder/Aubervilliers » – n’est peut-être plus aujourd’hui à l’intérieur de la salle. Pas forcément à l’extérieur non plus, mais entre les deux. Précisément sur le trajet qui va de la rue au théâtre ou du théâtre à la rue. Le monde ou rien.