« L’attente est une affaire horrible »

Alors que j’attendais

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

En France, et ce depuis plusieurs années, il est de bon ton que chaque festival d’art d’importance se dote de sa pépite arabe. En 2016, Cannes met à l’honneur « Eshtebak (Clash) », du directeur égyptien Mohamed Diab, et le festival d’Aix choisit d’expérimenter un mélange générique et esthétique avec « Kalîla wa Dimna » (Moneim Adwan, Zied Zouari, Olivier Letellier) : entre musique, fable, langues orientales et mise en scène opératique de tradition plus occidentale.

L’art peut, et parfois en a le devoir, se faire le porte-parole magnifié d’une souffrance et d’une parole ailleurs censurée. Il semble impossible d’exclure tout à fait du discours esthétique contemporain les enjeux brûlants de guerres actuelles. La programmation du IN à Avignon n’échappe pas à cette tendance en mettant à l’honneur « Alors que j’attendais », avec une mise en scène d’Omar Abusaada, syrien originaire de Damas – où se déroule l’histoire – sur un texte de Mohammad Al Attar – également né à Damas.

Cette plongée dans la question syrienne se fait par l’intermédiaire de Taym, jeune Damascène, dont le coma qui s’éternise remue les non-dits de ses proches. La sœur, en particulier, polarise en majeure partie les questionnements politiques et sociaux de l’intrigue, en interrogeant les rapports humains – maternel, amoureux – et la possibilité de grandir et de créer dans une dictature en pleine guerre civile. En guise de squelette contextuel, la révolution contre Bachar el-Assad est ici dessinée comme la menace fantomatique omniprésente d’une violence indicible ; mais aussi comme le symbole à partir duquel se forge la résistance. Celle d’un espoir nouveau, d’une véritable renaissance, à la fois individuelle et sociale, à travers l’art.

En convoquant la richesse culturelle de l’Orient à travers quelques éléments choisis – la lascive douceur du haschich, la place sociale de la musique ou encore du voile religieux –, Mohammad Al Attar nous invite à forcer mentalement les frontières closes de la Syrie pour tenter de nous représenter un quotidien fait de traumatismes, mais aussi et toujours empreint d’une importante culture millénaire. Cependant, l’urgence du discours ne s’inscrit pas dans une révolution formelle affirmée, qui aurait pu donner à ce propos la profondeur de champ et l’impact qu’il réclame. Le rythme et la rigidité scénique obligent le sentiment d’attente à se teinter d’un calme presque inattendu, auquel on peine à s’attacher. Omar Abusaada – qui fait pourtant le souhait d’une rupture avec le théâtre conventionnel – travaille ici des lieux communs quelque peu éculés de la mise en scène contemporaine (micros, vidéo, spatialisation stéréotypée, etc.). Se complaisant dans un reflet « méta » un peu fade, l’impact de la résistance qu’il revendique pourtant en général dans ses œuvres (« Est-ce que vous pouvez regarder la caméra ? », « Antigone la Syrienne », etc.) s’en trouve largement tempéré. L’intrigue – dont la moelle épinière relève pourtant d’un cri de révolte – se perd dans les méandres de ce qui devient un drame familial faussement « simple ».

Pourtant, à travers le sublime Taym, l’inquiétude de la jeunesse est bel et bien présente. Si la génération Tahrir souhaite s’emparer de la scène, ce vœu est plus qu’une nécessité : il est une obligation morale et politique. Malgré les maladresses que présente « Alors que j’attendais », Omar Abusaada dessine une voie (voix) qui n’attend plus qu’à être amplifiée.