Ayelen Parolin, par son nom seul, évoque l’exigence absolue, la perfection dansante mais aussi toute une cosmogonie miniature, rêvée ou réelle.
Trois ans après le sidérant et ultra mathématique « Hérétiques » (2014) et après deux autres pièces, « La esclava » (2015) et « Nativos » (2016) – hallucinées ! –, Ayelen Parolin crée « Autóctonos », qui constitue à la fois une continuité et une rupture avec « Hérétiques » : si la chorégraphe belge d’origine argentine trouve à nouveau la bonne distance critique dans la choralité et l’espace ritualisé, « Autóctonos » est une variation lumineuse autour de la communauté ; une communauté « en manque », un bloc de créatures/femmes séparées mais ensemble, hétérogène et instable, presque incongru, soumis à l’inconstance de la passion et des émotions de la postmodernité. Fragmentation, discontinuité, superficialité et non-sens y sont autant de violences que de saillies balbutiantes souvent drolatiques sur le plateau. Ici, l’emboîtement lumière (Laurence Halloy), musique (Lea Petra), textile (Marie Artamonoff, Coline Firket) et gestes accroche par sa subtilité. La réussite dramaturgique d’« Autóctonos » (Olivier Hespel) est indiscutable. Baignant, parfois dans une atmosphère érotique invitant à la découverte sexuelle de soi – se toucher –, « Autóctonos » célèbre un présent infini (ou qui dure longtemps) où le geste maîtrisé et relâché se perd en s’exaltant, continuellement remis en jeu. Et où en définitive l’humain est moins « pensant » que « pensé », moins « dansant » que « dansé », promenant son vertige dans un amas opaque de signes et de symboles anarchiques. On ressent parfois un malaise, un inconfort parce qu’on ne voit presque rien d’autre qu’un être défaillant qui peine à trouver sa voie et sa voix dans un espace dépourvu de toute continuité narrative. La partition musicale – sans oublier sa non-dansabilité – joue aussi à sa manière d’un entre-deux troublant, entre la maîtrise et le refoulé. Faire droit au décalage et à l’accident à chaque instant, détruire la rythmique au profit d’une déterritorialisation sonore, c’est la quête à laquelle la pianiste et compositrice Lea Petra – virtuose ! – semble se consacrer d’une manière toujours plus obsessionnelle depuis « Hérétiques ». Aléatoire, écorchée (à cause d’un pied ou d’une petite plaque en métal), sa musique plastique live a les échos et les reflets de la musique électroacoustique de Pierre Henry sans jamais l’affirmer tout à fait. Les notes dissonantes – comme de légers à-coups et à-côtés – dessinent les corps de Varinia Canto Vila, Ondine Cloez, Aymará Parola et Sophia Rodríguez – étonnantes ! – en puissances abstraites dans une série de tableaux d’une lancinante radicalité. Dans le dernier tableau, d’une beauté incandescente, le pink pussy hat hérité des femmes en marche contre Trump envahit le plateau et transforme la présence. À la fois extrêmement raffinée et un peu criarde, la lumière pink nous enfonce dans une impression de douceur ouatée presque confortable. Le plateau devient l’endroit d’une rêverie sucrée/glacée presque fantomale où la musique et le lyrisme se refondent l’un l’autre, travaillant leurs harmonies communes avec peut-être le secret espoir de créer un nouveau corps pour nous sauver de l’anéantissement. Ou bien peut-être est-ce un leurre ? La fin ressemble peut-être au début.
« Autóctonos », d’Ayelen Parolin, sera présenté les 29 et 30 juin 2017 à Montpellier Danse ; le 7 octobre 2017 à la Biennale de Charleroi Danses, à Charleroi ; les 17 et 18 novembre 2017 au festival Next à Roubaix ; les 24-25 novembre 2017 à Charleroi Danses-La Raffinerie dans le cadre de l’assemblée plénière de l’IETM à Bruxelles, etc.