« Fascismo nunca mais ! »

Révolution et démocratie : le rappel des œillets

Le point de départ de l’exposition « Révolution et démocratie : le rappel des œillets » est la révolution des Œillets qui, au cours du mois d’avril 1974, a fait basculer le Portugal dans la modernité démocratique. I/O a rencontré Luis Farinha, directeur du musée de l’Aljube et responsable de l’exposition.

En plein cœur de Lisbonne, en face de la cathédrale Santa Maria Maior, l’Aljube est une ancienne prison politique de la dictature (al jube signifie « puits », « prison » en arabe). Elle a d’abord été une prison ecclésiastique jusqu’au XIXe siècle, puis une prison pour femmes. Réactivée en 1928 par la dictature militaire et ouverte jusqu’en 1965, elle a détenu plus de 30 000 opposants politiques de tous profils : intellectuels, étudiants, activistes d’extrême gauche… En 2015, le lieu est transformé en musée municipal, nommé « Résistance et liberté » en mémoire des résistants au régime salazariste. Sur quatre étages, il décline les documents d’archives et retrace l’histoire du fascisme portugais : mécanismes de répression, outils de censure, dossiers de tribunaux politiques, conditions de torture…

C’est à partir de ce témoignage vital que s’est constituée l’idée d’une exposition. Luis Farinha revient sur les origines de la révolution. « Jusqu’en 1974, le pouvoir portugais est concentré sur la guerre coloniale. Il y consacre jusqu’à 40 % du budget de l’État ! Face à ce blocage, des résistances s’affirment. Il y a une forte vague d’émigration, et dans l’armée les désertions se multiplient. » Le 25 avril 1974, le Portugal est mûr pour basculer dans une nouvelle époque, celle des « 3 D » : décolonisation, démocratisation, développement. « Il y a eu un changement des mentalités, une certaine influence du marxisme », poursuit le directeur du musée. « Il a tout de suite été décidé d’organiser des élections en moins d’un an, ainsi qu’une série de mesures fortes comme la réforme agraire, les nationalisations, la constitution d’un véritable système universel d’éducation et de santé… Le pays a été transformé radicalement. » La révolution des Œillets est très originale car si elle a été opérée par les militaires, elle a malgré tout été une révolution pacifique puisque ces derniers sont retournés dans leurs casernes une fois la transition effectuée – contrairement à certains coups d’État sud-américains. « Peut-être le dernier geste romantique en Europe ! », plaisante Luis Farinha. Celui-ci insiste sur la spécificité politique de l’époque, qui continue de résonner quarante ans plus tard : si le Parti communiste n’a jamais été au pouvoir au Portugal, il continue depuis les années 1970 de représenter une force majeure, avec encore 12 % des électeurs aujourd’hui, et une présence très forte dans les syndicats et les collectivités locales. « Aujourd’hui, il n’y a pas d’extrême droite au Portugal, affirme Luis Farinha. Il existe quelques groupuscules, mais plus personne ne se revendique vraiment du salazarisme. »

Et que viennent faire les œillets dans tout ça ? « C’était une tradition, précise Luis Farinha. En 1974 à Lisbonne, des femmes ont distribué des fleurs aux soldats, mais cela avait déjà été le cas pendant la révolution républicaine de 1910. Il s’agit simplement d’une façon de saluer les forces révolutionnaires… Pour l’exposition du Théâtre de la Ville, nous avons demandé à une petite ville proche de Lisbonne, Campo Maior, de se charger de la fabrication à la main d’œillets de papier rouge qui seront suspendus au plafond dans le hall de l’Espace Pierre Cardin. Cela a mobilisé plusieurs dizaines de personnes, mais en huit jours ils ont réussi à réaliser plusieurs centaines de fleurs magnifiques ! » L’exposition a été conçue spécifiquement pour le Théâtre de la Ville. « Nous avons voulu en faire une exposition grand public, adressée à tous. Elle est très pédagogique et très visuelle, nous avons évité les contenus trop complexes. » Plusieurs médias viennent décliner les façons de se confronter à l’histoire portugaise : la reproduction de fresques murales, des affiches politiques, des tracts, des films documentaires, ainsi que trois performances filmées d’Ana Hatherly. « Hatherly était l’élève de Maria Helena Vieira da Silva, qui a d’ailleurs fait sa vie à Paris, et c’est une artiste majeure de cette époque. Les films ont été réalisés avant et pendant la révolution. » Luis Farinha avoue qu’il aurait souhaité placer d’immenses bannières de l’époque révolutionnaire devant le bâtiment, dont les slogans « Contra o capital ofensiva popular » (« Offensive populaire contre le capital ») ou « Fascismo nunca mais ! » (« Plus jamais de fascisme ! »), mais cela n’a pas été possible… L’un des autres slogans sélectionnés, c’est « Pain, paix, santé, éducation », issu d’une chanson de Sérgio Godinho… Farinha conclut : « Il était important pour nous d’insérer l’exposition dans l’actualité politique européenne. L’expérience de la révolution et ses conséquences ont montré une nouvelle façon de faire de la politique, jusqu’à cette année où au Portugal il y a une situation inédite d’un gouvernement socialiste appuyé par l’extrême gauche… Je pense que l’Europe a besoin de changer, d’avoir de nouvelles espérances, de renouveler la démocratie. Il est nécessaire d’avoir confiance dans le futur. »

Révolution et démocratie : le rappel des œillets, du 2 au 24 mai 2017 à l’Espace Pierre Cardin