Guide d’images

Marvelous

© Giannina Ottiker

Qu’est-ce qu’une fiction ; la fiction ? Est-ce une image ou un ensemble d’images ? Est-ce un texte répété ? Est-ce une suite de gestes ? Si la fiction suppose le recours au récit, alors elle est essentiellement liée à un processus – n’importe lequel. Sur la scène de « Marvelous » – lecture théâtralisée du magazine de mode homonyme –, l’impact de l’image projetée permet le déploiement d’un nombre infini de possibles et d’imaginaires.

Rien de très nouveau sur le fond, mais voilà que Bryan Campbell fait pétiller la scène. De résonance esthétique en résonance esthétique, l’artiste américain coupe de biais ce lieu commun de la réflexion théâtrale – et plus largement littéraire – en proposant des angles d’attaque nouveaux. Est-ce qu’un magazine de mode peut être un objet de fiction ? Peut-il être un objet qui sert une narration mais peut-il aussi représenter un objet fictionnel lui-même ? Un exemple concret de fabrique d’images, de fascination et de fantasmes ; mais aussi un objet concret : un volume ancré dans un système social et modelé par des enjeux économiques. Voici qu’il devient le prétexte dramaturgique d’où émanent les reflets de quelque chose de plus profond, d’éminemment créatif.

L’artiste interroge nos systèmes de communication et nos moyens de production de sens, reliés à différentes sphères d’intérêt et d’influence. Le spectacle déroule en continu une réflexion discursive sur nos fantasmes esthétiques, notre désir économique ou encore notre substantiel besoin de lien social. La répétition et l’insistance du discours entrent en écho avec la force de vérité et d’apparence publicitaire du magazine présenté sous toutes les coutures. Le pouvoir silencieux de l’image éclate avec fracas dans la bouche et le corps du performeur : une puissance « en présence » pendant un peu plus d’une heure, durant laquelle l’artiste, habilité en tant que guide « pourvoyeur de sommaire », habite magnifiquement l’espace scénique.

« Marvelous » se déploie comme la fragrance d’un parfum de marque, avec des notes complexes et généreuses qui s’évaporent en volutes invisibles. Bryan Campbell use de la posture clichée – mais très travaillée – du rédacteur en chef hype et cool, aux accents cocaïnés. Il développe le fil de sa performance soliste comme l’on feuillette les pages du magazine dont les images saturent l’espace. Silences et digressions anecdotiques côtoient des fragments de réflexion plus profonds qui s’entrechoquent avec humour. Par instants, le spectacle semble emprunter des accents novariniens, sans se colorer de manière trop sombre cependant. Le discours virevolte, interrogeant le spectateur sur la véridicité de l’intention de jeu. Le public est ainsi pris à parti, souvent par surprise, de même que l’acteur, emprisonné dans ses vrais-faux tourments de créateur trendy, joue avec les limites de la cohérence de son discours. Un joli shot d’adrénaline.