Inconditionnelles hospitalités, la politique-fiction de Massimo Furlan

Hospitalités

En résidence au village de La Bastide-Clairence, dans le Pays basque, Massimo Furlan a mis en place un projet artistique des plus singuliers dont le résultat dépasse toute imagination. Secrètement aidé par une poignée de villageois complices, il propage l’idée qu’il faudrait accueillir des migrants pour contrer la hausse des prix de l’immobilier, qui mécontente la population. Insolite, provocante, la blague est osée par les temps qui courent…

Parti à la rencontre des locaux qui lui ont raconté l’histoire de leur terre, l’iconoclaste artiste avait bien perçu que, si le bourg était historiquement lié à la question de l’immigration (une importante communauté israélo-portugaise venue d’Espagne s’y est installée pendant deux siècles pour fuir l’Inquisition), aujourd’hui on ne croise aucun étranger dans les paisibles paysages et les rues silencieuses du village en rouge et blanc.

Improbable mais vrai, le canular fonctionne lorsque les habitants s’engagent à concrétiser dans l’espace social cette proposition farfelue. De manière inespérée, la réalité rattrape la fiction. Plusieurs procédures sont lancées allant à l’encontre des réflexes symptomatiques et sécurisants de repli sur soi que rapportent quotidiennement les médias.

Sur la scène du théâtre Vidy-Lausanne et aujourd’hui à Reims Scènes d’Europe se raconte cette incroyable histoire proche d’un conte moderne joliment nommé « Hospitalités ». Il y a le maire actuel François Dagorret et son prédécesseur Léopold Darritchon, des jeunes, des vieux, anciens habitants ou nouveaux arrivés. Dans une forme chorale et minimale, ils se présentent face au public et évoquent leur vie, celle des autres, au village ou ailleurs, des bouts d’enfance, leur profession, leur famille, leur attachement aux traditions. Ils chantent ensemble et se livrent à une démonstration de fandango. En toute simplicité et dans un esprit soudé.

Ce type de théâtre-témoignage comme ont pu le pratiquer Jérôme Bel, Milo Rau ou Sanja Mitrovic favorise autant la prise de parole variée et spontanée que son adresse directe et frontale. Massimo Furlan et sa dramaturge Claire de Ribaupierre ont veillé à écouter et à recueillir les mots des gens qu’ils ont rencontrés ; certains étaient connivents, d’autres ignoraient tout de l’arnaque. Toutes les histoires et les conversations relatées, simples anecdotes ou réflexions philosophiques, interrogent la relation hôte-invité. Comme un leitmotiv revient la difficulté, l’inhibition à aller vers l’autre, à rencontrer l’autre.

Sans jugement ni excès de didactisme, le spectacle laisse place à la contradiction, à l’opposition. Les personnalités qui se présentent devant vous n’ont rien d’une bande de béni-oui-oui, et c’est d’une manière saisissante que toutes assises en ligne à la rampe déballent dans un violent brouhaha bon nombre de clichés et d’a priori sur leur sujet avant de laisser la parole à la salle en lançant un débat participatif.

Le spectacle raconte que l’association Bastida terre d’accueil a vu le jour en 2015 et que, l’année suivante, une première famille de réfugiés syriens s’est vue hébergée au village. Il se fait l’écho d’une prise de conscience, d’un don de soi, d’une sollicitude, d’une générosité affichés sans manifestation excessive d’autosatisfaction. En cela, « Hospitalités » est un spectacle édifiant, touchant et exaltant. Le geste artistique inventif et réactif de Massimo Furlan prouve que le théâtre a des choses à dire sur les sujets qui animent le monde, qu’il est bien ancré dans le réel et le vivant, qu’il sait mettre les pieds dans l’actualité, en être un acteur plutôt qu’un vain commentateur, qu’il continue à concerner, à bousculer et à nous faire progresser.