Antoine van Dyck, Charles Ier (1635-1636) © Sa Majesté la Reine Elizabeth II, 2017

C’est l’histoire d’un homme que Rubens décrit comme « le plus grand admirateur d’art de tous les rois de ce monde ». Au début du XVIIe siècle, le royaume d’Angleterre et d’Écosse connaît une série de tensions télescopées, à la fois héritées du passé et nouvelles. Charles Ier (1600-1649) accède au trône le front chargé de préoccupations diverses. Tandis que son règne s’achemine vers une période de troubles, marquée par la guerre civile – unique « révolution » connue sur l’île britannique de 1642 à 1651 –, le « Roi Blanc » fait montre d’une conscience aiguë de l’histoire et de la force des arts pour en témoigner. En 1623, deux ans avant d’être couronné, une visite à Madrid marque un moment d’exception : sa rencontre avec la collection d’œuvres des Habsbourg. Charles Ier prend une décision : réaffirmer avec grandeur et magnificence les liens entre la couronne d’Angleterre et l’art. Faire entrer l’Angleterre dans le maillage historique et culturel européen.

Son entreprise de collection d’œuvres se fonde principalement sur l’acquisition du fond de la maison de Gonzague, comprenant notamment de nombreux tableaux de Titien et de Véronèse. C’est un autre Charles Ier, duc de Mantoue et héritier de la famille italienne, qui les lui vend. Les deux hommes se ressemblent en de nombreux points. Croyants, cultivés et voyageurs européens ; la passation d’un collectionneur à un autre d’œuvres inestimables brille alors d’une aura encore plus particulière. Charles d’Angleterre et d’Écosse tient en ses mains un lien direct avec la Renaissance et son cortège de figures et mythes revisités. Mais il ne s’arrête pas là. Cette première acquisition renforce et aiguise son goût pour l’art et Charles Ier commissionne le d’ores et déjà célèbre Antoine van Dyck comme peintre officiel de la couronne.

L’exposition « Charles I : King and Collector » recrée pour la toute première fois cette collection foisonnante de chefs-d’œuvres, mise aux enchères et éparpillée juste après l’exécution publique du roi. Peintures, sculptures, tapisseries, dessins et autres objets y sont mêlés. La scénographie oscille entre l’angle thématique et chronologique, permettant ainsi de saisir de manière synoptique non seulement l’actualité politique du roi mais aussi et surtout la résonance particulière de chaque œuvre dans sa collection. La disposition de sources historiques secondaires – tels que des recueils administratifs numérotant et détaillant minutieusement les œuvres – permet d’approfondir, non sans émotion, le regard que portait le roi sur ses acquisitions et l’importance qu’elles revêtaient pour lui. D’un siècle à l’autre, les artistes correspondent silencieusement mais avec intensité. Le Quattrocento répond à l’art flamand de l’époque baroque.

Orchestrer ce regroupement exceptionnel a demandé un travail phénoménal. Si la beauté des œuvres parle souvent par et pour elle-même, leur rassemblement est couturé d’analyses bienvenues. On en redemande encore quand l’exercice reconnaît ses limites et ne nous en apprend pas toujours plus sur les dessous politiques du règne. L’éclatement de la guerre civile en 1642 par exemple, qui donne lieu à d’intéressants tableaux marquant le déplacement de pouvoir du roi vers son fils, n’est pas plus fouillé. De même, l’influence d’Henriette Marie de France, sa femme, sur l’organisation de la collection, est rarement approfondie quoique soulignée ça et là. Qu’importe : l’exposition réussit à former un compromis intéressant entre la valeur propre aux œuvres, le geste du collectionneur et l’histoire de son temps. Un incontournable qui fait penser à d’autres travaux titanesques équivalents cherchant à lever le voile sur cette période historique en empruntant un angle d’approche renouvelé. Une tendance bienvenue, marquée en 2016 par la somptueuse exposition « Charles Le Brun. Le peintre du Roi-Soleil » au Louvre-Lens, entre autres exemples.