Histoires de fantômes

Les Louvres and/or Kicking the dead

(c) Dietz Fejér.

C’est à une histoire de fantômes que nous convie l’artiste et performeur Walid Raad dans une étrange performance tenant à la fois d’un TED talk à l’américaine et d’une visite de galerie d’art contemporain. Sa casquette vissée sur la tête, l’artiste nous entraîne dans une enquête dont l’objet se tissera tout au long de la performance à la manière de l’un de ces tapis persans restaurés au Louvre, entre projection de PowerPoint, photos, vidéos et installations qui en constitueraient les multiples fils.  

Cela pourrait d’ailleurs commencer, comme dans une filature, avec une piste à suivre : quel est le rapport entre un soldat américain vétéran du Vietnam vivant en Flandres, le bâtiment de la Cooper Union à New-York, le Louvre d’Abu Dhabi et des œuvres d’art mystérieusement métamorphosées dans leur voyage entre la France et les Emirats arabes unis ? En apparence, aucun. Pourtant, l’artiste, en faisant de ces éléments les indices d’une enquête plus vaste, invite le spectateur à plonger avec lui dans l’exploration de liens à la fois réels et imaginaires, entre réflexion sur l’économie mondiale, empires post-coloniaux, place de l’art dans l’industrie financière ou encore recherche identitaire et artistique du Moyen-Orient. Mais Walid Raad, malgré toutes ses références et les révélations qu’il peut nous faire, n’est ni économiste, ni journaliste, ni historien. Et d’une certaine manière, tant mieux. Artiste à part entière dans la lignée d’un Borges, mélangeant comme lui enquête littéraire et document imaginaire, il tente de construire une vérité esthétique éclairant le monde d’une manière qui lui est propre, un univers rhizomatique qui a toutes les apparences du réel dans lequel on se laisse entraîner avec un plaisir immense.

Oscillant sans cesse entre informations véridiques et fictions, éléments historiques et petites anecdotes, la constellation créée par le performeur devient dès lors un univers rempli de signes et coïncidences conférant à la magie, qui fait renouer avec la croyance d’une force inconsciente de la psyché – que ce soit celle de tout un peuple ou d’un.e seul.e homme ou femme – aux prises avec des fantômes aussi bien culturels que personnels. Prolongeant à sa manière l’affirmation posée par Breton dans « Nadja » qui déplace la question de l’être vers celle du revenant – « qui je hante » – Raad présente donc le reflet de ceux qui hantent dans le miroir de ceux qui sont hantés, du Louvre de Paris à celui d’Abu Dhabi, de la Première Guerre mondiale à aujourd’hui, à travers les œuvres d’art. Un miroir par éclats qui, si nous prenons la peine d’en reconstituer les fragments et d’en cartographier l’étendue en répondant à la confiance faite en notre intelligence, évoque tout à la fois les désastres conjoints et spécifiques de la civilisation occidentale et de celle du Moyen-Orient tout autant qu’une potentialité de renouveau : « Kicking the dead ! »