Le dinosaure et le psychanalyste

Before

© Alipio Padilha

Avez-vous déjà vu un dinosaure assister à une séance de psychanalyse ? Vous en aviez peut-être (pas) rêvé : Pedro Penim l’a fait pour vous. Voilà, sans doute, la meilleure manière de résumer ce qu’est « Before ». Une idée totalement absurde servie par une mise en scène minimaliste, comme pour resserrer encore un peu plus l’étau sur ce noyau de sens légèrement brouillé mais à l’humour saillant. Explications.

Face à un micro et à son texte, Pedrom Penim incarne deux voix. À ma droite, un homme dans un costume de tyrannosaure venu consulter ; à ma gauche, un psychanalyste. Le monsieur dans le costume n’a pas l’air d’aller fort et ponctue inlassablement son discours difficile à cerner d’un « c’était mieux avant ». La fameuse maxime réactionnaire trouve dans la bouche de ce T. Rex en plastique une tournure inattendue. Voilà que l’inopiné patient se met à philosopher. Certes, il s’agit d’une philosophie assez décousue, ramassée autour d’un sentiment confus de Sehnsucht impossible à « traduire » et dont l’épaisse mélancolie ne cesse de faire remonter le récit de la bête toujours plus loin dans l’Histoire. Face à lui, le psychanalyste sceptique, quand il n’ironise pas gentiment, lui pose inlassablement la même question : « C’était quand, avant ? » Dans son méli-mélo, notre ami le dinosaure a finalement un peu de difficulté à expliquer clairement ce qu’était cet « avant », quand était cet « avant » et surtout ce qui s’y trouvait. « C’est le présent qui fait mal », se plaint-il, souffrant toute l’aigreur du monde postmoderne, tandis que l’âge d’or indescriptible semble s’être fossilisé.

À travers ce dialogue caustique, Pedro Penim et le collectif portugais Teatro Praga font le pari de cerner, en usant de très peu d’éléments, une forme de malaise : celui qui, issu d’un esprit malade, est possiblement le miroir d’une génération – voire de toute une civilisation. Qui sait, peut-être que les dinosaures parlent encore mieux des hommes que les hommes eux-mêmes ? Le ridicule assumé du dispositif n’évacue absolument pas la pertinence des questions comme des réponses qui, bien que disparates, évoquent une angoisse palpable. Oui, il est possible d’entrer en empathie avec un homme dans un costume de tyrannosaure : ne râlez pas ou vous deviendrez tout aussi larmoyant que lui.

Ce théâtre expérimental, il faudra bien vous y accrocher, de toute manière, car le reste de la mise en scène combat les attentes du public. Éléments réduits au strict minimum pour s’asseoir, panneau pour projeter des vidéos filmées de près sur des objets presque toujours non identifiables. Au rythme du dodelinement d’une tête de costume, la voix de Pedro Penim alterne simplement mais avec souplesse entre le rauque de cet animal ressuscité pour nous et le ton doucereux du psychanalyste. Il ne reste pour couronner le tout qu’à saupoudrer l’ensemble d’une conscience métathéâtrale. Notre tyrannosaure, non content de remonter le temps, propose également une construction de la pièce prétendument à l’envers, partant de la scène x pour terminer par la toute première. Difficile de tout comprendre, mais on saisit l’essentiel et on se marre finalement bien, entre les moments de spleen et les tranches d’absurde.