New York regorge d’expériences immersives, et le « Poetry Brothel » est l’une des plus enthousiasmantes. Bienvenue dans un cabaret érotico-vintage à vocation poétique.
En plein cœur de Bushwick, le nouveau quartier branché de Brooklyn, la House of Yes héberge régulièrement les soirées de ce « bordel à poésie », qui fête cette année son dixième anniversaire. On ne sait pas trop à quoi s’attendre en débarquant, à 21h, dans ce lieu rethématisé dans une ambiance de cabaret fin de siècle dans lequel évoluent, au milieu du public, une quinzaine de jeunes femmes (et quelques jeunes hommes) en tenue aussi légère que, pour certains, fantasque. Le déroulement de l’événement ? Jusqu’à minuit ou une heure du matin, une succession de « numéros » de récitation de poésie sur la scène du théâtre, mais aussi des activités parallèles, à la carte. Car s’il faut s’acquitter d’un droit d’entrée de base, toutes les activités supplémentaires sont également payantes, sous la forme de jetons de 10 $ (3 pour 25 $), chacun donnant droit à une courte session privée : lecture dans les lignes de la main, tirage de tarot (pas très convaincant, il faut l’avouer, ce soir-là), photomaton rétro, sketch artist…
Et surtout moment intime avec l’un.e des « whores » de son choix, dans une arrière-salle plus tranquille. Il y en a pour tous les goûts avec des noms de scène choisis par les poétesses elles-mêmes : Penelope Strangelight, Fraulein Kuchen, Obsidienne ou encore The Poetry Oracle. Attention, on n’est pas dans un vrai bordel et il n’est pas question d’imaginer assouvir ses fantasmes sexuels ; les performers assument parfaitement d’être appelés « whores », mais l’instruction est claire : « We are obsessed with CONSENT. Always ASK before touching anyone in our House. » De l’érotisme soft et bon enfant, donc. Jane LeCroy, aka Sabina Crowley, par exemple, vous sussurera sa poésie « pornosophique » à l’oreille. Son poème sur l’amour « How to be a pioner of love », est une petite merveille (« Recognize your broken heart, accept pulverization / Accept failure and loss and triumph / Break more, fail more, lose more, triumph more »). Cela fait un an que Jane travaille, avec un enthousiasme affiché, pour le bordel. Faisant partie de la micro-scène poétique avant-gardiste de New York, elle enseigne par ailleurs à l’université et donne des performances post-punk dans des bars plus ou moins confidentiels.
Au cours de la soirée, The Madame, la jeune tenancière et créatrice du bordel, annonce que pour la modique somme de 100 $ on peut s’offrir l’expérience particulière d’un “gang bang poétique”. Tout un programme. Une jeune femme semble motivée : on la retrouvera un peu plus tard allongée sur le devant de la scène, entourée de l’ensemble des performers qui, pendant quelques minutes, lui récitent simultanément une orgie tourbillonnante de poèmes… Entre deux déclamations de verse, des groupes de musique, plutôt de très bon niveau, se succèdent sur scène, et contribuent à l’ambiance générale festive et vraiment décalée. Alors, oui, le personnel du bordel n’oublie pas de vous rappeler tout au long de la soirée qu’il faut acheter des coupons, et l’ensemble a un côté un peu commercial plutôt contradictoire avec la dimension poétique du projet. Reste qu’on y passe, pendant deux ou trois heures, un moment hors-du-commun, tour à tour excitant, surprenant, burlesque.
Depuis sa création en 2007, le Poetry Brothel a disséminé le concept à travers le monde, avec aujourd’hui des événements dans une quinzaine de villes… dont Paris. Pas sûr que la version de Pigalle soit à la hauteur de son aînée américaine, mais il n’y a qu’une façon de le savoir. Amis de la poésie, bien le bonsoir.
The Poetry Brothel, New York
50 $ l’admission (entrée réservée aux plus de 21 ans)
http://www.thepoetrybrothel.com/