Années érotiques

Pourama Pourama

(c) Anne-Sophie Popon

Avec « Pourama Pourama », Gurshad Shaheman invite le spectateur au voyage de sa vie et lui fait vivre une expérience quelque peu hors du commun : celle de saisir la constitution d’une identité dans le temps long, qui se dévoile avec une sensibilité retenue et avec une délicatesse magistrale. Car cette performance se construit avant tout comme le trajet d’un « moi » qui s’expose tout en se voilant, des rapports au père (l’enfance) et à la mère (l’adolescence) qui scandent les deux premières parties du spectacle, à la découverte de la sexualité à l’âge adulte, au cœur de la dernière partie. « Touch Me », « Taste Me », « Trade Me », ce triptyque aux titres équivoques, jouant sur la sensualité, renverse sans cesse les rôles et les places assignées, mettant le spectateur, invité à sa manière à « participer » au spectacle, face à sa propre responsabilité. Gurshad Shaheman brouille les cartes et renverse les rôles : qui de nous ou de lui est l’homme objet, celui qui donne ou celui qui reçoit, celui qui vend son corps ou celui qui l’achète ? Qui porte un masque, qui se dévoile ?

À la croisée d’une méditation quasi moraliste et d’un roman d’initiation, rencontre du troisième type entre Marcel Proust et Jean Genet, le performeur nous fait toucher, sentir, manger avec lui, de l’Iran à la France, du lit de la mère aux chambres d’hôtel dédiées aux amours clandestines, et nous en sortons ébahis de douceur et de confiance dans la possibilité de formation d’une identité personnelle.Toute la performance livre ainsi une appréhension sensorielle de cette identité fluctuante, dont les contours, si nous cherchions à les saisir, seraient bien plus sensibles qu’intellectuels.Tout comme le plat de la mère qu’il nous a cuisiné et servi, et qui nous caressera l’estomac un bon moment, tout comme la voix suave de Googoosh, la diva iranienne dont les chansons ponctuent la pièce, la parole de Gurshad s’incarne progressivement tout au long du spectacle, dans un lent déploiement guetté par l’anecdotique qui précisément lui donne tout son sens. Car l’anecdote, cet art du presque rien qui finalement constitue le tissu même de la vie, devient en même temps la manifestation de l’intime et d’une banalité dans laquelle chacun pourra se loger, à travers la parole du comédien.

Si l’érotisme est l’art du montré-caché, alors « Pourama Pourama » s’affirme comme profondément érotique, nous mettant toujours face à un Gurshad plus ou moins insaisissable, à la fois présent et absent, dont la générosité se manifeste pourtant tout au long de la traversée qu’il nous offre. C’est précisément cette présence-absence qui nous laisse toute la place ; rarement on a vu un spectacle autobiographique aussi juste et autant tourné vers son public ; rarement la formule de Baudelaire « mon semblable, mon frère » aura si bien trouvé son écho. On le dira clairement : l’une des plus belles pièces de théâtre que l’on ait vues ces dernières années, et qu’il faut aller voir si l’on désire se réconcilier, un tant soit peu, avec soi-même et avec l’épreuve du temps qui passe. Merci, Gurshad !