Île enchantée

Happy Island

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Dans le cadre du portrait dédié à La Ribot pour cette édition du Festival d’automne, le CND accueille un spectacle hors norme, porté par la compagnie portugaise de danse inclusive Dançando com a Diferença. « Happy Island » offre une occasion unique d’apprécier le travail de la chorégraphe avec des personnes en situation de handicap, danseurs non professionnels aux corps différents. Le résultat en est saisissant de poésie et de liberté, dans une mise en scène qui ne cède rien sur l’esthétique.

En fond de scène, un film réalisé par Raquel Freire sur l’île de Madère avec les danseurs de la compagnie est projeté pendant toute la durée de la performance. À l’espace clos de la salle viennent ainsi se superposer des images de nature où les corps dansants apparaissent comme détachés de tout regard social et surtout d’une désignation du handicap. Là réside peut-être toute la force de cette mise en scène de La Ribot : faire intervenir la beauté là où le regard usuel glisse généralement – et bien souvent malgré lui – sur ces corps sans pouvoir y discerner autre chose que la marque de la différence morphologique. Une forêt qui défile et accueille ces danses fait alors oublier institutions, centres et autres lieux d’enfermement ou de réclusion auxquels sont généralement assignées ces personnes. La lumière dorée envahit le plateau par le biais de costumes à paillettes et de réflecteurs maniés par les danseurs au son de la musique électronique de Jeff Mills ou du jazz d’Archie Shepp (on saluera les merveilleuses bandes-son des spectacles de La Ribot, qui se distingue toujours par d’excellents choix musicaux) et nous emporte dans sa douceur. La grâce jaillit alors du frottement inattendu entre des corps dits imparfaits et une mise en scène où tout n’est que recherche de l’image forte, celle qui viendra nous frapper au cœur, étonnera notre regard et nos sens.

Lorsque les corps des danseurs se mêlent, La Ribot fait alors surgir la sensualité et l’érotisme là où on ne peut les attendre, effaçant les catégories pour nous conduire vers la simple vision (pourtant non dénuée de complexité) de corps joyeux, au sens fort du terme. On verra alors dans cette « happy island » la définition de la joie donnée récemment par Georges Didi-Huberman dans un entretien avec Muriel Pic, comme ce « soulèvement obstiné des chapes de plomb qui nous dominent de partout et nous enserrent ». Ici, La Ribot pulvérise la chape de plomb du corps handicapé et de sa définition identitaire pour nous faire admirer des corps en tant que tels, débarrassés de toutes assignations, gambadant ou se déplaçant comme ils le veulent, tels qu’ils sont. Corps utopique, le corps joyeux imaginé par la chorégraphe nous emmène dans des contrées libres trop souvent enterrées sous les méandres de la quotidienneté, où seule l’expression du désir et de la simple présence corporelle compte. Par contamination, on sortira de ce spectacle avec l’envie, pour un moment, de rejoindre nous aussi cette île joyeuse contenue dans chacun de nos gestes et dans les potentialités de nos êtres au monde.