(J’) accuse

Retour à Reims

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Il fut un temps où Thomas Ostermeier s’en prenait vigoureusement à la politisation outrancière du théâtre contemporain, préférant ouvrir discrètement, dans les textes des répertoires classique et moderne, des pistes de réflexion sociologiques, économiques ou philosophiques.

Dans ses récentes créations françaises, la parole politique s’est pourtant invitée discrètement au micro, le temps d’intermèdes graveleux dans « La Nuit des rois » ou d’observations badines dans « La Mouette ». Loin de ces processus d’actualisation fantomatiques, Ostermeier revendique désormais l’engagement de son théâtre face à la tragédie contemporaine, décidant d’aborder frontalement la montée des extrêmes. Ce « Retour à Reims » donne l’impression que le directeur de la Schaubühne cherche encore à légitimer cette nouvelle posture artistique, dans une forme d’art politique obsolète et laborieuse dans laquelle il se la joue « bon dialecticien » comme à son habitude, mais échoue à donner son théâtre, qu’il espère populaire, en partage et en gage.

Au-delà d’une matière historique qu’il ne traite pas véritablement, le dispositif de « Retour à Reims » induit une réflexion plus intéressante mais peu fouillée sur la parole politique elle-même. De l’orateur à l’essayiste (en passant par le rappeur), le spectacle amorce un feuilletage des différentes modalités du discours, sans proposer toutefois de réelles perspectives pour évaluer leurs pouvoirs et leurs impasses dans le monde contemporain. En voulant résister aux stratégies énonciatives déployées par les tribunes dogmatiques, Ostermeier tente de faire du sujet politique (et de l’analyse qu’il profère) un simple vecteur de réflexion. Le texte de Didier Eribon, dont la scientificité est sans cesse modalisée par le sujet biographique, constitue alors un support opportun, et la voix blanche qu’adopte l’interprète féminine Irène Jacob pour couvrir les images creuse une distance acoustique supplémentaire. Les fréquentes interruptions du documentaire, dramatisées par des échanges plus ou moins passionnants (et bien joués) entre les trois protagonistes (de la moquette du studio aux théories complotistes), permettent là encore de dynamiter toute autorité médiatique. Les images filmées, qui font la part belle à Françoise Hardy et à Cocteau, ajoutent elles-mêmes leur lot de dissensus, étant souvent sans rapport direct avec le texte, ou bien dans une contradiction joyeusement ironique.

Ce « cinéma à niveaux multiples » que conçoit le personnage du réalisateur s’intègre alors à un dispositif dialectique plus radical qui, loin d’être un art engageant qui produirait un vertige épiphanique chez le spectateur, redouble l’impasse intellectuelle qu’il prend pour objet. En voulant répondre esthétiquement à l’agonie politique d’un collectif, en souhaitant évaluer l’insondable réversibilité des pensées et des convictions actuelles, le metteur en scène ne fait qu’éventer les perspectives. En cette saison où « La Reprise », de Milo Rau, a déjà reconfiguré le théâtre documentaire en conjuguant distanciation et choc esthétique, et où Angélica Liddell opère dans « The Scarlet Letter » la rencontre improbable entre l’antique discours engagé et une politique de la perception toute postmoderne, les nouvelles expérimentations d’Ostermeier semblent bien peureuses et vaporeuses. Si le spectacle mentionne l’efficacité fragile de l’art politique, et si son metteur en scène regrette l’implication des penseurs pour aider un certain mouvement social, la réponse artistique qu’il propose est désarmante tant elle embourbe la pensée dans une forme trop intellectualisée, confinée dans la tour d’ivoire inquiète de son studio d’enregistrement.