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Partir à l’allègre dégustation de quatre petites formes flamandes en l’espace d’un week-end : il en va ainsi du roboratif Benjamin Verdonck régalant le spectateur de la Bastille… Parmi elles, « One more thing » remporte notre préférence : peut-être grâce aux mots de Cesare Pavese ?

Des mots : une phrase en réalité (on prendra soin de ne pas la divulguer) que l’artiste protéiforme déploie dans une contrée onirique et cartonnée qui fait rimer minutie et modestie en 14 minutes de grâce. Délicatement envoûtée par la musique minimale de Tomas de Smet, cette pièce de « théâtre de table », comme Verdonck aime à l’affubler, agence une myriade de panneaux miniatures (ils sont autant de rideaux de théâtre) entre lesquels dansent des formes géométriques enchâssées aux lettres griffonnées en bleu de Pavese : elles se révèlent progressivement, leur simplicité dissimulant leur poésie par une habile litote visuelle. Ou comment l’artiste, en bon manipulateur de ficelles, manie l’art du sens en train d’advenir : en découpant sans cesse les mots et les choses, il condamne le spectateur à errer dans une limbe incertaine — lorsque ce qui apparaît n’est pas encore exactement intelligible. Malin plaisir phénoménologique ? Verdonck a besoin de 14 minutes pour faire émerger le sens : c’est entre temps que, naviguant entre les formes, l’esprit s’échappe au cœur de rêveries ineffables… Explorateur primitif d’un espace morcelé de bouts de monde qui échouent à faire unité, pris dans un maelstrom de losanges et de rectangles, il a vite fait de s’abandonner… À force de séparations, la boîte ne devient-elle pas un espace mental ? Voilà le même esprit explorant des zones de plus en plus transcendantales, s’enfonçant peu à peu vers l’abstraction à mesure que les couches se désassemblent et se défrichent. Un véritable ASMR visuel : n’est-ce pas cela, le « You » dans la phrase de Pavese, qui se sépare en deux à plusieurs reprises ?

« One more thing » est une invitation ésotérique à équarrir sa conscience comme pour se retrouver face à elle… Car les boîtes du flamand aiment à se clore par un vide fatal qui n’est autre que la boîte noire du théâtre. D’un mouvement double donc : la boîte, en dessinant des jumelles vers un soi harmonieux, s’éclate en fait dans le monde du dehors… Le sens se découvrant, une fois la phrase de Pavese complètement dévoilée, laisse place au noir. Mais quel noir : si choquant d’intelligibilité qu’on en comprendrait presque l’insaisissable atomisme — le vide révélant sa matière que la matière vide a aménagé. Reste ainsi l’image d’une ouverture puissamment éloquente autant que d’une poésie impromptue dont Verdonck est le poète-artificier. Il faut absolument goûter la quinzième minute de « One more thing » : sans aucun doute, elle « bouscule l’imaginaire », pour reprendre ses mots dans un récent entretien qu’il a accordé à « Théâtre/Public ». Bien sûr, l’artiste prend le soin de la démythifier (il s’agit plus d’une situation poétique que d’une fiction) ; elle n’en sera pas moins belle, puisque qu’il aura produit ni plus ni moins qu’une fringante chronologie de l’émotion.