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Crée en 2013, « Les Puritains » de Bellini prolonge alors l’exploration romantique de Laurent Pelly qui, collaborant à l’époque avec la scénographe Chantal Thomas, renouvelle l’architecture monumentale et spectrale qui avait marqué sa mise en scène du drame hugolien « Mille francs de récompense. » Dans cette forteresse entaillée, voilette endeuillée qui tourne et s’amenuise au fil des actes, se rejoue une tragédie on ne peut plus shakespearienne d’amour impossible, avec toutes les armes et les larmes qui s’imposent. Si le dramaturge élisabéthain situait ses amants illégitimes dans une mythique cité italienne, Bellini et Pepoli (inspirés par Walter Scott) lui rendent la pareille en 1835 : ils font d’Elvira et d’Arturo les figures d’une Angleterre divisée, politiquement et religieusement, sans que les amants deviennent de purs pantins allégoriques qui transformeraient l’opéra en épopée politique. Car ce qui compte pour Bellini, c’est avant tout « l’impression des passions », et c’est sûrement ce qui pêche dans la mise en scène, sobre et efficace, que livre Laurent Pelly (sentiment d’inactualité renforcé par la reprise.) Le cœur battant de l’Angleterre s’endort ici dans l’esthétique léchée d’un théâtre d’ombres qui, à défaut de prendre parti, mise sur le pouvoir évocateur d’une plastique trop codifiée, avec les contrastes usités de ses costumes (auxquels s’ajoutent les variations lumineuses très parasites d’un cyclorama) et la symbolique peu opérante de son décor, dentelle sombre voulant suggérer la folle mélancolie de ses protagonistes, mais pétrifiant le mélodrame dans une pincerie purement décorative et ennuyeuse.

En lévitation dans les limbes infernales, ce palais de sombres courants d’air était au départ un écrin fascinant : Elivra (interprétée par la soprano Elsa Dreisig qui s’impose depuis plusieurs années comme une révélation précieuse de la scène lyrique et constitue l’événement musical de cette reprise) s’éveille dans la première scène tandis que les Sentinelles, presque inaudibles, sonnent l’alerte. Bafouant l’intimité des protagonistes, toujours traversés par d’autres voix que la leur, et scénographiant plus naturellement la présence fantôme du chœur, cet événement initial atteste la seule vraie réussite du spectacle : sa dramaturgie vocale. Dans sa lettre à Carlo Peloni, Bellini martèle sa haine vis-à-vis des « artifices poétiques » qui contaminent l’opéra, et la mise en scène de Pelly lui rend pleinement justice à cet endroit. Que ce soit dans les présences chorales, qui se meuvent sans chorégraphie excessive, ou dans l’adresse frontale (plutôt rare) des solistes qui cèdent à peu d’exacerbations pathétiques, les dorures métalliques de la représentation gagnent de la vérité. Là où les interprètes excellent dans l’exercice, c’est lorsqu’ils rendent sensible (dans la deuxième partie essentiellement) leur aliénation en théâtralisant l’expression (quand Giorgio et Riccardo façonnent leur vengeance héroïque, et Elvira sa reconquête amoureuse autour d’une couronne de fleurs.) La représentation retrouve ainsi cette noirceur romantique qui lui fait globalement défaut, ces contrastes saisissants entre les airs que souhaitait Bellini, en effleurant cette pureté du sentiment qui constitue, on l’aura compris sans vraiment le ressentir, l’horizon politique et esthétique d’un art qui transgresse l’artifice puritain.