Sur le chemin de son œuvre, Mohamed El Khatib revient et fait encore une fois de la représentation ce fil qui relie le théâtre à nos vies. Un instant qui nous mène au cœur d’une souffrance majeure : celle de nos enfants.
Alors il y a la bienveillance, évidemment. Cette bienveillance caractéristique du regard d’un metteur en scène qui travaille à transformer le théâtre en miroir d’une réalité qu’il espère parvenir un jour à faire mentir. Mais il ne faut pas se méprendre. Comme souvent chez Mohamed El Khatib, l’importance qu’il accorde à son sujet l’oblige à faire de son public le coupable d’une situation qu’il vient régler sur le plateau. Il ne faut donc pas se laisser bercer par ce décor en Lego qui s’offre à nous : les six enfants qui s’apprêtent à nous parler une heure durant ne sont plus des adultes en devenir, mais déjà les juges d’une souffrance dont ils sont les victimes – celle d’avoir eu à vivre la séparation de leurs parents.
Une séparation deux fois fautive, puisque au-delà de notre incapacité à rendre heureux les enfantsconfrontés à cette douleur c’est aussi au jugement d’un autre état de fait, plus large et cher à Mohamed El Khatib, que nous sommes invités : celui de la certitude mensongère qui nous habite de mener la « vie bonne » quand autour de nous les âmes de nos enfants pleurent les mensonges que nous leur imposons. Des mensonges qui ne couvrent qu’une seule vérité, pourtant acceptable : celle de deux parents qui ont cessé de s’aimer.
Et c’est ici que la proposition de Mohamed El Khatib trouve son sens le plus juste : redonner à l’enfant la place d’individu plein et entier qu’il mérite. Cette place, le metteur en scène l’affirme même triplement : une première fois quand il questionne la bêtise de ces parents incapables de dire à leurs enfants la séparation du couple qu’ils formaient. Une deuxième en faisant de sa pièce un geste « tout public », démontrant à cet instant l’absence d’une barrière qui séparerait l’intelligence de l’enfant de celle de ses parents. Et enfin une troisième, alors que sur le plateau évoluent trois filles et trois garçons à qui rien de leur enfance n’est volé, puisque aucune de leurs mimiques ni de leurs expressions de gamins n’est gommée pour faire d’eux ce que le théâtre et son spectateur seraient supposés vouloir : des marionnettes au service d’une cause d’adultes sachants.
« C’est ma vie », nous dit un des jeunes comédiens présents sur le plateau en nous regardant droit dans les yeux. Et c’est exactement ce qu’affirme avec douceur cette pièce pourtant violente sur le fond : la vie de nos enfants n’est pas la nôtre, mais nous pouvons l’impacter lourdement si nous ne respectons pas notre plus grand devoir à leur égard, qui n’est autre que de respecter leur intelligence. Une intelligence qui résonne fort aux derniers instants du spectacle, quand ces enfants qui viennent de nous condamner s’apprêtent à faire preuve de l’humanité dont nombre des adultes qui constituent leur public ne seraient pas capables en cas de conflit. Une humanité qui leur fait dire ces mots simples, mais essentiels pour un théâtre dont l’objectif n’est pas d’enflammer le monde, mais bien plutôt de l’apaiser : « On ne vous en veut pas. »