Sa vie avec les fantômes

L'Inventaire infini

DR

C’est à double titre que Sébastien Lifshitz est présent cet automne au Centre Georges-Pompidou de Paris. D’abord en tant que cinéaste à l’occasion de la rétrospective complète de ses films réalisés depuis une vingtaine d’années. Mais aussi pour une exposition, « L’Inventaire infini », montrant une partie de sa collection de photographies.

On sépare souvent, pour classer et éviter de se voir débordé, le cinéma documentaire et la fiction. L’occasion qui nous est donnée ici pourrait être d’essayer de tisser des liens entre ce que racontent les films de Sébastien Lifshitz, indépendamment de cette classification, mais aussi d’essayer de les relier avec cette activité annexe de collectionneur.

Il y a quelques années, en 2016, les Rencontres photographiques d’Arles avaient donné un premier aperçu de cette collection extraordinaire dans l’exposition « Mauvais genre ». Les photographies disparates montraient des hommes et des femmes, se travestissant avec les habits d’un sexe qui n’était pas le leur. Ces photos, Sébastien Lifshitz les avait trouvées patiemment dans les brocantes, les salles des ventes et partout ailleurs dans le monde où il avait eu la possibilité d’aller les ramasser. Les auteurs des clichés et leurs sujets étaient pour la plupart anonymes. Tous avaient certainement disparu et personne n’aurait pu mettre une identité sur ces corps et ces visages. Pourtant la photographie nous disait avec certitude que quelque part, dans un autre espace et dans un autre temps, ils avaient bien existé et qu’ils avaient eu une histoire. En recueillant ces images de fantômes, Sébastien Lifshitz ressuscitait ces âmes errantes en les sauvant de l’oubli. Sur chacune des photographies, le spectateur pouvait imaginer un bout d’histoire. Le moment de la prise de vue n’avait été que de quelques centièmes de seconde dans la vie de ces femmes et de ces hommes, mais cela suffisait pour imaginer l’immensité de tout ce que la photo avait laissé hors champ, pour toujours et à jamais.

Si nous sommes touchés par ces images, c’est aussi parce qu’elles ont une qualité formelle indéniable. Elles ont une forme, ou ce quelque chose de singulier qui a attiré l’œil du cinéaste. En les choisissant et en décidant de les exposer, Sébastien Lifshitz les a ressuscitées pour qu’elles ne disparaissent pas à jamais. Cette nouvelle exposition fabriquée avec d’autres images de sa collection et présentée sous le titre « L’Inventaire infini » montre des anonymes sans que ceux-ci soient marqués par le rapport hors norme qu’ils entretiennent avec le genre. La sélection nous aiguille aussi sur ce qui fait la curiosité du cinéaste pour les histoires des autres, qui constituent la matière première de ses films. Des histoires singulières qu’il expose dans ses documentaires et ses fictions pour donner à voir une substance où tout un chacun est à même de se reconnaître en miroir. Mais c’est avec une intervention minimale de sa part qu’il est le plus juste, quand il propose simplement le réel et permet au spectateur de se retrouver dans une œuvre qui lui est ouverte, où, comme dans le théâtre originel, les acteurs fantômes sont morts et vivants.