Ce qui naît du chaos

Ce qu'il faut de nuit

Laurent Petitmangin, cadre chez Air France et néanmoins amoureux des lettres, nous livre un premier roman au titre délicieusement noir. Il faut croire que la Lorraine est une terre favorable au roman de la noirceur. Si Nicolas Mathieu, qui a obtenu le prix Goncourt en 2018 avec « Leurs enfants après eux », en avait fait le terrain de jeu d’une adolescence en proie à l’ennui, errant et zonant, Laurent Petitmangin, en se glissant avec élégance dans le costume du romancier noir, en fait le lieu de son récit aux accents zoliens « Ce qu’il faut de nuit ». L’argot des mines a laissé place au langage fleuri des supporters du dimanche.

Ils sont quatre, le père, la « moman » et les deux fils, Fus et Gillou, et tentent tant bien que mal d’arracher la joie aux jours qui demeurent. Cet équilibre familial est bouleversé par la maladie de la mère, qui renonce au monde sans s’être rebiffée une seule fois. Ils ne seront désormais plus que trois pour lutter contre l’adversité. La trinité de l’infortune. Comme dans une tragédie antique, la famille de Fus, frappée par le malheur, semble ne plus pouvoir éviter la chute. La joie des matches de football du dimanche après-midi, l’insouciance des jours heureux laissent place à l’inquiétude et à l’alcool. Tandis que le monde s’écroule autour du père, emportant dans ses décombres les espoirs de la « moman » et ses dernières volontés, surgissent du chaos des anges et des démons qui se disputent les âmes des deux fils. Si Gillou, l’esprit de la famille, sera sauvé, Fus s’enfoncera imperceptiblement, à pas lents, de manière presque invisible, dans les abysses de la haine et de la violence. L’auteur a choisi de cristalliser la lutte, nécessaire et inévitable, entre le père et le fils aîné autour de la politique. Quand Fus opte pour la voie des « fachos » en étant persuadé que « cela ne change rien » et qu’il reste toujours le même petit garçon aimant et attentionné mais brisé par le décès de sa mère, le père se réfugie, lui, au quartier général de la section socialiste pour laver la honte qui s’abat sur sa famille. La section devient une église où l’on vient déverser ses péchés et demander le pardon. Ce combat silencieux entre un père et un fils qui n’ont de cesse d’éviter l’affrontement direct dissimule des blessures bien plus profondes.

Ce récit est une ode à la famille, celle qui lutte pour sa survie au quotidien, celle qui se réjouit de ces petites joies intimes qui illuminent une soirée, celle qui veut sauver chacun de ses membres au prix d’un ultime sacrifice, celle qui, malgré tout, laisse une place à la rédemption. L’atmosphère sombre et inquiétante de ce récit qui vous prend aux tripes ne saurait tout à fait éteindre la lumière « dorée, puissante, sacrée et pourtant pleine de fraîcheur » qui baigne, dans un coin de Lorraine, cette cellule familiale que l’amour n’a jamais vraiment désertée. Le père comprend qu’il est père au moment où il saisit que l’amour qu’il porte à ses fils n’est pas instinctif, naturel, mais qu’il est le fruit de toutes leurs oppositions, de tous ces gestes de colère ou de tendresse. Même la mort ne peut survivre à cela.