Mon Anse de Malmousque, (c) Stephan Zimmerli, Carnet d’un voyage immobile.

En cette période d’arrêt forcé de la saison théâtrale, la Comédie de Valence et son équipe, dont la direction a été récemment reprise par Marc Lainé, a réfléchi à des manières de continuer à faire vivre le théâtre. Aux bâtiments clos reste donc le virtuel, qui occasionne des initiatives inédites.

Lainé a ainsi fait appel à ses artistes associés pour lancer diverses initiatives appelant à une participation du public, qu’il s’agisse d’ateliers d’écriture en ligne ou de dessins partagés. Stephan Zimmerli, scénographe et dessinateur, a quant à lui lancé son « Carnet de voyage immobile », auquel tous les volontaires sont appelés à participer, spectateurs de la Comédie de Valence mais pas uniquement. Suite à une prise de rendez-vous par mail, celui qui le souhaite est ainsi invité à une séance d’une heure et demie, via Skype, en direct avec le dessinateur. Le principe en est à priori simple : raconter un lieu marquant, réel ou imaginaire, qui prendra vie, par la description, sur le cahier de l’artiste. Alors même que le principe du confinement veut que nous ayons sous les yeux tous les jours à peu près la même chose, Zimmerli en appelle à notre imaginaire et nous fait reconnecter avec les ressources parfois mises en veille qu’il contient, notamment en termes de visualisation. Il pousse ainsi à s’interroger à la fois sur la vision et le souvenir, mais également sur sa possibilité de les traduire par le langage.

Que reste-il, en images mentales, d’un lieu que l’on connaît, que l’on a peut-être visité maintes et maintes fois ? Est-on sûr d’avoir bien observé ce lieu ? D’être capable de le décrire à un autre ? En se livrant à l’exercice, on se rend compte du pouvoir transformateur de la mémoire, mais aussi de la faculté possible de reconvoquer un lieu lointain lorsqu’on prend le temps de le décrire avec précision. Alors, description et imagination se rejoignent dans un même geste, l’une préexistant à peine à l’autre, et lorsque celles-ci tentent maladroitement de se traduire dans les mots – la question toujours renouvelée de la manière dont on peut traduire en mots une image, souvent imprécise et faite d’un tissu de sensations – alors naît une vision inattendue. Toute la beauté de l’exercice conçu par le dessinateur réside précisément dans le moment où, d’un langage tâtonnant et d’un souvenir oscillant, apparaît une image sur le papier, fruit de la rencontre aléatoire entre la description de celle ou celui qui se souvient et les mains de celui qui dessine, s’emparant à sa manière du lieu évoqué. On ne serait pas loin du « paysage état-d’âme » tel qu’il était à la mode au XIXe siècle, notamment chez les romantiques. Ici, le dessinateur se fait passeur, collaborateur au service du souvenir de l’autre, matérialisant une vision et parfois peut-être l’utopie d’un déplacement possible vers un autre temps. Loin d’être un exercice nostalgique, ce « Carnet d’un voyage immobile » redonne des envies de voyages, renouvelant pour un moment notre vision et oubliant les quatre murs de notre appartement. Un beau projet dont on espère voir le résultat total… à la fin du confinement.

Pour voir mon voyage immobile dans l’Anse de Malmousque à Marseille : https://www.comediedevalence.com/index.php?id=1410