© Pierre Grosbois

Thomas Quillardet poursuit son œuvre pour le moins éclectique (après une auto-fiction de Christophe Honoré et un scénario d’Eric Rohmer) par un «docu-fiction» qui retrace la privatisation de la chaîne TF1. Construit en deux parties linéaires, qui distinguent l’avant et l’après, son spectacle au sujet inédit se regarde malheureusement comme on gobe un 20h. 

En tant que spectateur, nous avons autant de place dans cette « Télévision française » que face aux images planes et sur-informatives des actualités, c’est-à-dire aucune. Tous les dialogues, qui tentent de percer leur réalisme documentaire par des incursions artificielles dans l’intimité des journalistes, sont sans cesse explicatifs, sur-signifiants et figés. Quillardet ne réussit pas à faire vivre sa rédaction tant il cherche scolairement à faire de cet espace le miroir et le poumon fidèle d’une époque. Les seuils entre conversations ordinaires, conférences rédactionnelles et journaux télévisuels ne sont jamais discernables. La parole n’est jamais au présent, mais toujours vouée à informer le spectateur, à communiquer et délimiter les enjeux historiques et médiatiques. En voulant mimer la découverte brûlante, par les journalistes, des événements majeurs de l’époque (Tchernobyl, la libération de Mandela…), les dialogues de Quillardet donnent plutôt l’impression de renseigner le spectateur multigénérationnel. Cette double destination permanente tend à scléroser toute dialectique, tant les sujets en question ne semblent être que cités et jamais vraiment débattus, figeant les années 1885-1995 en vignettes, en “sujets” successifs et frénétiques. Alors qu’elle ouvre une zone sans caméra, des coulisses médiatiques préservées du devoir de s’adresser à un spectateur universel et de fabriquer une réalité transitive (problématique que le dernier film de Dumont, “France”, traitait vertigineusement), la scène de Quillardet reproduit le même régime d’information et la même parole que celle qu’elle dénonce fréquemment.

La dramaturgie, redoublée par la scénographie de Lisa Navarro qui passe d’un espace pluriel et à un open space aseptisé où nulle déchirure de la parole ne semble plus possible, scénarise elle-même le passage à la privatisation de manière trop binaire. Esquissé par une fête pailletée et une performance d’Etienne Daho qui relève du pur cliché, le TF1 privé qui nous est donné à voir dans la deuxième partie fait la part belle à quelques vrais moments de théâtre qui encanaillent un peu l’ensemble (par exemple lorsque Jean-Marie Le Pen est croqué par un acteur noir). Toutefois, cette “télévision française” cherche sans cesse un rythme effréné qui paralyse paradoxalement le plateau. Les acteur-rice-s convaincant-e-s (notamment Jean-Baptiste Anoumon et Blaise Pettebone) réussissent pour leur part à donner un peu de vibration à ce régime dialogique poussiéreux, bien que le théâtre n’arrive jamais à tordre réellement le régime d’imagéité et d’intelligibilité télévisuels. Lorsqu’un castelet guignolesque, avide de « tchao bonsoir », venait parodier la dramaturgie du JT, l’image nous paraissait bien plus déchirée, vivante et subversive que dans ce théâtre illusionniste qui, cherchant à approcher l’énergie télévisuelle, semble pétrifié et impuissant face à la petite lucarne.