La beauté nait dans les cloîtres. Cet adage auquel nous croyons chaque mois de juillet a pris corps cette année entre les platanes des Célestins. La chorégraphe et plasticienne Mylène Benoit s’empare de la majesté du lieu avec maestria et propose un rite initiatique aux racines de la force du féminin. Non que ce soit un spectacle féministe, – seuls les passages textuels, courts et dispensables en font explicitement mention – c’est une cérémonie laïquement sacrée qui montre bien plus qu’elle ne démontre. Cette horde de femmes prend possession du plateau par la maîtrise du souffle et de la voix, variations infinies qui se répercutent entre les pierres séculaires et nos oreilles novices. Ce sont des chants soufflés, scandés, éructés, youyoutés, hurlés ou murmurés, des chants sans mots, des chants pour faire communauté. Car ce qui les lie, au-delà des confidences de boudoirs, c’est l’offrande aux puissances de la nature de leur corps et de leurs cordes vocales. La scène inaugurale séduit par sa radicalité; dans le noir du ciel étoilé, des appels, des cris de reconnaissances déchirent le silence, résonnent en échos, enveloppent le gradin de toute part comme les louves qui reconstituent leur meute. La chorégraphe assume avec grâce de danser la force sans la masculiniser, de donner à tous ces corps de femmes, différents, un élan singulier qui ne cherche ni à singer ni à se comparer, mais qui créent, devant nos yeux, une nouvelle grammaire, une nouvelle glaise faite de sang, de peaux et de murmures. On gardera en mémoire ces kryptonites suspendues qui semblent, une fois en lumière, générer la transe, diamants acérés et scintillants, énergie minérale qui donne sens aux corps branlants. On gardera la délicatesse des poignets qui se tendent, supports aux micros, réceptacles intimes de ce qui advient, la nudité, simple, l’onction avant le rituel. Dans cette scénographie pauvre, ce sont les corps qui créent les courbes et les couleurs, la femme laisse trace, marque son territoire, triste sans elle, il prend vie, il s’active quand elle le macule. Nous assistons, médusés, à la naissance du paysage.

Tout est surprenant dans cette proposition, aucune scène n’appelle logiquement une autre et pourtant, aucune incohérence, nous sommes en suspension, comme transmutés dans un temps préhistorique étrangement contemporain. Il faut accepter de se laisser découvrir car Mylène Benoit vient tordre les restes de notre cerveau reptilien, sommes-nous prêts à renouer avec la beauté brute ? Si les yeux se désengluent, si l’écoute oublie son confort post-moderne, « Archée » touche sa cible en plein coeur, et réalise le rêve d’Eugen Herrigen dans son mythique ouvrage « Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc » : «  Il nous faut redevenir “comme des enfants” par de longues années d’entraînement à l’art de l’oubli de soi. Quand cela est réalité, l’homme pense et pourtant il ne pense pas ; il pense comme les vagues qui déferlent sur l’océan ; il pense comme les étoiles qui illuminent le ciel nocturne ; il pense comme le vert feuillage qui bourgeonne dans la paix de la brise vernale. En vérité, il est les ondées, l’océan, les étoiles, le feuillage. Lorsqu’un homme est parvenu à cet état de développement “spirituel”, il est un artiste Zen de la vie. »