Piégée dans un monde en ruines, une bande de survivants s’exerce à retrouver son souffle : autant dire que le pitch de « Death Breath Orchestra », s’il provient des tréfonds de l’imaginaire, promet une métaphore subtile des temps contemporains. D’excitantes ambitions certes, auxquelles le spectacle ne répond qu’en demi-teinte.
« Death Breath Orchestra » a tout d’un bon spectacle : un motif parabolique qui résonne avec l’époque sans l’illustrer (l’épuisement du souffle), un genre rare au théâtre (le post-apocalyptique) qui permet de vastes explorations visuelles (colonnes et tuyaux d’air, brouillard et poussières), le tout au sein d’une approche interdisciplinaire qui entrecroise théâtre, musique et marionnette. D’une certaine manière, le contrat est rempli — Alice Laloy réussit à intriquer subtilement le poétique et le politique — et le propos est audible : à l’instar d’autres fables des temps futurs, elle est un surtout véhicule pour dynamiser le temps présent. On pense à cette phrase de Jean-Paul Engélibert : « Fabuler la fin du monde n’est synonyme ni de l’espérer ni de désespérer de l’éviter, mais peut signifier tenter de la conjurer et ainsi rouvrir le temps. En élaborant des scénarios de la fin, elles permettent de penser autrement l’histoire. » En ce sens, « Death Breath Orchestra », dont le ravage du monde figure surtout une renaissance, coche intelligemment le cahier des charges.
Deux choses manquent néanmoins pour que le résultat au plateau soit à la hauteur de l’annonce sur le papier. Pourquoi le moteur ne démarre-t-il qu’à demi ? D’abord, la qualité des pièces de construction est parfois relative. La musique est utile, certes — mais le niveau de la fanfare n’est-il pas un peu bas de gamme ? Le jeu autour du souffle est heureux également : mais n’y a-t-il pas plus subtil que de surjouer l’inspiration et l’expiration ad nauseam ? Les marionnettes, formes d’alter ego inanimés des personnages et des instruments, sont extrêmement réussies : mais n’y aurait-t-il pas beaucoup plus à explorer (les aspects philosophiques et organiques de la rencontre, par exemple) ? Bref, c’est comme si les intuitions de « Death Breath Orchestra » excédaient leur matérialisation : une idée, d’autant plus quand elle est belle, ne peut supporter qu’on lui administre un sort trivial. Peut-être qu’au fond — et voilà la seconde aporie —, la qualité des outils laisse parfois à désirer : l’agencement dramaturgique de l’ensemble des pièces, s’il est suffisant pour rendre intelligible l’intention d’Alice Laloy, peine à « faire histoire », il manque de souffle justement. Autrement dit, les personnages (sortes de rescapés d’un espace-temps où l’espace et le temps ont disparu) tout comme l’univers (dédale de lumière et de poussière qui emprunte beaucoup au steampunk), semblent trop ébauchés : sans requérir quelque schéma narratif bien sûr, le spectateur peut être frustré que le spectacle close si rapidement ce qu’il avait malignement effleuré. Est-ce parce que le désir de rendre visible le propos outrepasse celui, plus expérimental, d’immersion dans des images profondes, pour lesquelles on connaît pourtant le talent d’Alice Laloy ? Quoi qu’il en soit, « Death Breath Orchestra », s’il est d’intérêt pour le type de théâtre qu’il aménage, faute d’explorer plus en détail les outils et les pièces qu’il intuitionnait à juste titre, reste coincé un peu en-deçà de ses promesses dramaturgiques.